Dans un livre « La France des "petits-moyens" », des sociologues tordent le coup à une idée largement répandue, très souvent relayée par les médias, selon laquelle les habitants des pavillons voteraient mécaniquement à droite.
En reportage dans les quartiers populaires lors des dernières élections présidentielles [1], les journalistes ont opposé le monde supposé blanc des pavillons à celui des HLM. Les premiers n’ont-ils pas voté en faveur de Nicolas Sarkozy, les seconds pour Ségolène Royal ? Même le ‘‘quotidien de référence’’ a été victime d’une illusion naturaliste, comme le montrent des sociologues qui ont multiplié, à partir de 2004, les enquêtes ethnologiques dans le quartier pavillonnaire des Peupliers, à Gonesse (Val-d’Oise).
Située à la limite de l’agglomération parisienne, cette ville de 25.000 habitants comprend des grands ensembles et des quartiers résidentiels, « qui contribuent à fixer localement les ménages disposant de revenus suffisants pour accéder à la propriété ». Cette co-existence se retrouve au sein même des Peupliers où vivent côte à côte des ménages en ascension sociale et d’autres hantés par le déclassement. Depuis toujours, « pour les ménages qui sortent des cités HLM, le pavillon matérialise la distance prise avec l’univers d’origine autant que l’aspiration à vivre comme tout le monde ».
Un rejet qui s’exacerbe avec une Droite locale qui dénonce « les immigrés et leurs enfants (…) comme fautifs de dégradations ». Toutefois, « le rejet des plus pauvres ‘‘qui profitent de l’assistance’’ et des familles immigrées qui ‘‘refusent de s’intégrer’’ » est loin d’être le fait des seuls électeurs acquis à Nicolas Sarkozy depuis l’inflexion sécuritaire du PS des années 90. En dépit de ce brouillage, « il faut refuser avec force les descriptions caricaturales de quartier pavillonnaire comme territoire de petits blancs viscéralement opposés au monde extérieur » : l’origine des habitant des Peupliers est en effet très diverse.
Socialement proches de la population des grands ensembles, les ‘‘petits-moyens’’ des Peupliers sont souvent des employés. Une catégorie marquée par la grande diversité des conditions de travail, d’emploi, des origines sociales et particulièrement confrontée à la compétition à l’école et dans la quête d’un emploi stable. Les scrutins locaux depuis la Libération montrent des victoires souvent serrées, aux majorités changeantes. Ils établissent aussi que la participation y est systématiquement supérieure à celle des quartiers HLM, victimes du ‘‘cens caché’’ qui éloigne les plus pauvres (économiquement, culturellement, socialement).
Les auteurs mobilisent également de nombreux exemples historiques qui prouvent que le vote à Droite des pavillonnaires est loin d’être une constante. Le cas le plus célèbre est celui du développement sauvage des lotissements autour de Paris, censé constituer durant les années 1930 un rempart contre le socialisme. Les petits propriétaires floués par les promoteurs véreux favorisèrent au contraire l’émergence de la ‘‘ceinture rouge’’. La forte présence communiste aux Peupliers s’est d’ailleurs perpétuée jusque dans les années 1970.
Au final, il y a moins de distance entre les habitants du quartier des Peupliers et leurs voisins vivant en HLM que d’écart entre un travail journalistique souvent improvisé et une étude sociologique de longue haleine. Surtout quand, comme ici, avant de recueillir des données sur le terrain, celle-ci mobilise les études de référence sur des domaines aussi divers que les pavillonnaires (N.Haumont, M.G.Dezès, A.Haumont), les politiques du logement (J-P.Flamand, P.Bourdieu), les classes populaires (S.Beaud, M.Pialoux) ou leur représentation politique (O. Masclet, R.Lefebvre, F. Sawicki). Un travail de bénédictin qui évite d’être hypnotisé par un mythe vieux de 150 ans.
[1] En particulier, deux articles publiés dans Le Monde : « Pavillons contre HLM, le clivage des banlieues » (24 avril 2007) et « La présidentielle vue de mon lotissement » (8 décembre 2006).