« Chomsky et compagnie » ou comment on fabrique l’opinion publique en démocratie. Ce documentaire de qualité d’Olivier Azam et de Daniel Mermet, produit par les Mutins de Pangée, sort en DVD pour les souscripteurs modestes et géniaux, des auditeurs de « Là-bas si j’y suis », qui ont financé le film.
Il y a Chomsky le scientifique, le grand linguiste américain, et puis Chomsky l’intellectuel engagé, le Don Quichotte de la propagande. Noam Chomsky a 80 ans tout rond. On s’attendait plutôt à un simple portrait, mais le documentaire se révèle être un reportage itinérant, un périple de Boston à Montréal, de Toronto à Paris en passant par Stockholm ; avec des interventions d’autres penseurs comme Jean Bricmont, scientifique et essayiste belge, ou le Québécois Normand Baillargeon. Première image, surprenante : le Pic du Canigou. Puis une voiture qui prend des routes enneigées, la radio allumée. Rien d’étonnant puisqu’il s’agit d’une réalisation pour l’émission « Là-bas si j’y suis » sur France Inter, de Mermet. Rencontres là-bas donc, pour voir si Chomsky y est…
D’abord, la liberté des médias, images d’interviews de journalistes célèbres, Poujadas, Demorand, Ockrent, unanimes : en France la presse jouit d’une liberté totale. Chomsky ne le conteste pas, les démocraties et les médias sont libres, évitons le discours paranoïaque et les fantasmes sur d’infâmes complots organisés pour mater le peuple. Non, l’opinion est plutôt préfabriquée, moulée par l’idéologie dominante, à travers les connotations des discours politiques et médiatiques, les présupposés enfouis sous les slogans publicitaires et les directives de l’État. Le langage, forme et maître de nos pensées, exprime nos idées et nos sensations autant qu’il les influence. Aux recoins de chaque mot, se dissimule une impression, une insinuation, vagues et sinueuses. Elles creuseront leur sillon jusqu’au fin fonds du cerveau et s’y graverons progressivement pour guider nos propres comportements, à notre insu. Citoyenneté, opinion, consommation. Le débat public sur les diverses questions sociales et politiques semble seulement fait de liberté et de vivacité, d’où la réaction des journalistes français. Mais en vérité, le cadre même de ce débat est préconçu.
À cette thèse de Chomsky se succèdent des reportages sur des affaires et des faits historiques à travers lesquels est démonté le mécanisme de la fabrique de l’opinion. Les campagnes pour la guerre en Afghanistan et en Irak, où l’on indigne et terrorise l’opinion pour convaincre du caractère inévitable de la guerre. En bref, une réussite grandiose de la démocratie, avoir su « obtenir sans violence ce que les États totalitaires obtiennent par le bâton ». Plutôt effrayant. Et le reportage fait un retour sur les assassinats de religieux au Salvador.
Retour aussi sur l’affaire Faurisson qui opposa Chomsky au grand historien Pierre Vidal-Naquet [1]. Et, le documentaire, agrémenté d’une excellente bande-son et d’humour, ne se prive pas de fouiller plus profond, dans des dossiers vraiment noirs. La main mise de l’Indonésie sur le Timor (1974), soutenue par les États-Unis et la France, pour des intérêts économiques.
Chomsky est un optimiste, le niveau de civilisation a globalement doublé en cinquante ans dans le monde. Et à savoir quelle est, de la courbe de la destruction ou de celle de la civilisation, celle qui grimpe le plus, il répond à un public d’étudiants, « la réponse est entre les mains de gens comme vous. » Et puis « le progrès social, c’est un peu comme l’ascension du Pic du Canigou, quand on croit qu’on est arrivé, il y a toujours un autre chemin qui surgit, qui conduit encore plus haut. » De quoi secouer les consciences assoupies.
[1] voir l’article de Arnaud Rindel
Daniel Mermet m’avait déjà enchantée avec la série des "Là-bas si j’y suis" consacré a Noam Chomsky et en remet une couche avec Olivier Azam !
La pensées et les idées de Chomsky ne sont encore que trop peu répandue dans notre pays et fais même face a une certaine censure et un certain mépris de la part de nos journalistes. On ne peut donc que saluer ce documentaire qui pourrai nous permettre de mieux cerner ce curieux et intéressant personnage qu’est Noam Chomsky et son acerbe critique des médias qui mérite amplement de se faire connaitre !
salut les Bakchich !
il aurait été surprenant qu’on ait beaucoup plus parlé d’un film qui, à ce jour, n’existe que pour la poignée de souscripteurs qui l’a reçu et les happy very fews qui ont pu s’en procurer une copie.
sortie en salles en novembre… peut-être !
cordialement
Merci de cet article, fort intéressant.
Le formatage de l’opinion dénoncé par Chomsky est évident, de plus en plus évident chaque jour.
Remarquons comment certains termes sont galvaudés par le clan Sarkozy ("réforme", "changement", "rupture", "modernisation" opposés à l’"immobilisme") et comment la gauche elle-même lui sert la soupe, et les os avec, en parlant maintenant de "pavlovisme antisarkozien" à l’encontre de ceux qui font leur devoir d’opposants.
Salut les bakchich,
un petit mot de la grotte des Mutins de Pangée pour vous signaler (en exclusivité :-) que le film sortira en version pour le cinéma à partir de Novembre, accompagné de rencontres, de débats, et de plein de surprises… On vous tiendra au jus très vite. A bientôt.
Les Mutins de Pangée
SUPER, merci pour la diffusion ! Félicitations à toute l’équipe du film !
J’attire également l’attention du lecteur sur le mode de production du film en question : mieux qu’autoproduit, son financement à l’aide de souscriptions est un exemple à suivre pour tous ceux qui veulent parler mais ne trouvent pas leur voiX.