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Lavis Noir : les épisodes 57 et 58 de notre feuilleton de l’été

Roman / mardi 12 août 2008 par SP. Truptin, Briscard
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Le Paris de la fin des années 70. Entre rades de Barbès, Clichy, Montmartre. Narré avec l’argot du coin, loin des titis parisiens. Et une histoire d’escroc à la petite semaine qui voit débarquer l’occasion de sa vie. Une jolie fiction d’été, un cadeau des auteurs à « Bakchich », et de « Bakchich » à ses lecteurs. Aujourd’hui les épisodes 57 et 58.

57. Soudain dangereux

Soudain dangereux… - JPG - 71.7 ko
Soudain dangereux…
© SP Truptin

Loïc savait qu’en s’exhibant ainsi au Nord Sud, il courait le risque de voir Toussaint débouler pour lui faire la peau… Mais le plaisir des premiers rayons de soleil sur Montmartre, et la perspective de pouvoir, enfin, tirer un peu de blé de ce putain de lavis noir, lui faisait trouver la vie légère et le danger grisant. Bref Loïc continuait de se comporter comme un gros naze, et il en était heureux.

Pourtant ce ne fut pas Toussaint, qui pointa son museau le premier, à la terrasse du Nord Sud, mais Fabio, qui sortait de la maison Pouleman. Le rital projetait de s’enfiler, dans l’ordre, un expresso serré puis les escaliers de Jules Joffrin quand il aperçut Lekervelec, pérorant devant un Perniflard. Aussi sec il s’approcha de sa table, et, sans y être invité, s’assit :

- Salou, Loïc… Come va ?

- Oh !… Fabio… Qu’est-ce que tu fous ici ?…

Rapidement le calabrais rencarda Loïc sur le malheur qui l’accablait, et l’immense chagrin qui l’envahissait :

- Gina, Loïc, Gina elle faisait lé pipes comme toi tou fais dé la peintoure : avec dou sentiment et en mettant les mains ! Qué zamais, zé né rétrouvérais oune salope comme elle…

Loïc était d’autant plus sincèrement désolé qu’il voyait ses ambitions niqueuses réduites à peau d’balle ! Décidemment, il avait pas d’bol, avec les femmes : soit celles qu’il convoitait se f’saient trucider, soit celle qu’il convoitait plus se f’sait rater ! Du coup il en eut comme une montée de vague à l’âme et il se commanda un deuxième jaune. Son coup de blues n’alla tout de même pas jusqu’à lui faire perdre l’esprit de lucre, et il embraya en finesse sur le Van Dongen :

- Alors, sinon au fait, pour le lavis, t’as vu ?… Je t’ai mis un mot pour te dire le vrai… A mon avis, un petit lavis comme ça, vu que Van Dondon ça cote pas mal, tu devrais pouvoir en tirer au moins dans les douze plaquounettes… tranquille…

- Zé sais pas… faut qué zé vois, vou que zé souis séconde main sour lé trouc. Ma qué zé vais té régler l’expertise, tou né t’inquiètes pas…

- Oh, c’est bon, y a pas l’feu… Et puis t’as d’autres préoccupations, j’imagine…

- Oui, qué zé souis dans lé deuil… Mais tou sais lé plou drôlatique ?…

- Non ?…

- Et bien figoure-toi qué lé faux lavis, et bien c’était Miche qu’elle mé l’avait confié !

- Non !

- Si, Miche, qué zé appris son assasinazione ! Zé n’aurais même pas bésoin dé la boutter !

- Ça alors, j’en reviens pas ! Miche faussaire !… Qui aurait pu penser…

Loïc souriait intérieurement : pour une fois il était content de lui. Son tour de passe-passe avait fonctionné impec, et il allait entuber rital et manouche en douceur, façon caves mal dessalés. Dans des moments comme ça Loïc Lekervelec se sentait surfer sur la crête de la vague de la Prospérité triomphante, poussé par les vents puissants de la Consécration Victorieuse, prêt à s’abandonner dans les bras de l’Opulence Mammaire de la Gloire Paresseuse et de la Satisfaction du coup tordu mené à terme. Tout à l’ivresse de son succès anticipé, et un peu, aussi, de son deuxième Pernod, Loïc se dit qu’il pouvait peut-être pousser encore un peu son avantage, histoire de nettoyer l’terrain ; comme Fabio lui avait largement fait part de son intention de faire la peau à l’assassin de Gina, s’il le chopait, il se risqua à une ultime manœuvre bien dégueulasse, dont il espérait beaucoup sur le plan de sa sécurité personnelle :

- Quand même, Toussaint, avec son putain d’sabre, si j’avais su…

- Qué Toussaint ? Qué sabre ?… s’enquitNéra, avec de petits yeux, de tout petits yeux plissés et soudain dangereux…

  

58. Edouard

Edouard - JPG - 51.2 ko
Edouard
© SP Truptin

Depuis que Lekervelec lui avait sorti une histoire à sa façon, comme quoi Toussaint l’Haïtien avait été le propriétaire d’une superbe navaja qui, justement, avait servi à tuer la première victime du Bourreau d’la Butte, et que les autres crimes ou tentatives, ressemblaient foutrement au premier, Fabio ne pensait plus qu’à avoir un petit entretien amical avec l’antillais. Bien sûr Loïc avait un peu omis de rappeler la cession de la lame à Miche, et avait seulement laissé entendre que Toussaint était plus souvent blindé qu’à son tour, et qu’à Pigalle, tout l’monde l’appelait Nègre Fou. Du coup, l’entretien auquel songeait Fabio ressemblait plus à de la distribution d’bastos, qu’à un cinq à sept dans les salons du Lutetia !

De son côté l’inspecteur principal Garrin avait été faire un p’tit tour du côté de Lariboisière où se trouvaient les toutes dernières cibles du Bourreau, Josy et Vlad ; ce dernier revenait de loin, puisqu’aussi bien le couteau du faux barbu lui avait sectionné la fémorale. C’était bien là l’intérêt, de se faire poignarder en milieu hospitalier : il avait pu bénéficier de soins aussi immédiats qu’attentifs, le corps médical se sentant quand même un peu péteux d’avoir laissé pénétrer dans l’hosto, un boucher de l’acabit du Bourreau ! Garrin, autant par délicatesse que par calcul, avait apporté un bouquet de fleurs - des anémones - pour Josy et un pack de six - Kanterbrau - pour Vlad. Il laissa les bières à la porte de la chambre à Josy - pauvre agnelle - et entra :

- Bonjour, Mademoiselle… Vous allez mieux, on dirait, non ?…

- Oh, bonjour Monsieur Garrin….

- Tenez, vous demanderez à la fille de salle de vous les mettre dans un bocal…

- Oh, Monsieur Garrin, comme c’est gentil… Des anémones… mes fleurs préférées…

- Ah, ben c’est jour de chance, alors !

Jour de chance mon cul : Garrin avait eu l’tuyau par Lekervelec lui-même quand il l’avait interrogé au sujet de l’agression d’la rue du Roi d’Alger, et, en gros pourri de flic républicain qu’il était, il s’était dit qu’un petit fayotage, ne pouvait que favoriser les confidences. D’où le bouquet. Tout en causant, Josy s’était redressée, tant bien que mal, et le drap qui la recouvrait avait laissé s’échapper une jambe nue. Josy, mignonne sans être vraiment belle, avait cependant des jambes magnifiques, au mollet joliment galbé , à la cheville fine et à la cuisse ferme et musclée. Le drap l’avait découverte jusqu’au creux de l’aine, et Garrin, en eut une grosse suée et une violente érection. Il balbutia en verlanant :

- Ne gébou pas… euh… bougez comme ça… vous allez vous faire monter la fièvre…

- Oh, vous savez Monsieur Garrin, ici il fait si chaud, de toutes manières que la fièvre elle monte toute seule…

Ce disant Josy, ingénue candide, sortit sa deuxième jambe du drap et vint la croiser haut sur l’autre. La fièvre, Garrin la sentait bien monter, du slop aux oreilles, qu’il avait brûlantes. En même temps l’émotion le submergeait, tant Josy - pauvre agnelle -, avec son gros pansement autour du cou, ses pauvres yeux battus et son sourire malade lui inspiraient de compassion. Avec ces putains de jambes, comme ça, involontairement impudiques, avec ce putain de sourire et ces putains de yeux, d’un coup Garrin eut une grosse boule dans la gorge. Il s’assit au bord du lit et posa doucement une main sur la cuisse fraîche de Josy :

- Josiane, il faut que nous parlions tous les deux…

Josy se méprit sur ses intentions :

- Oh, Monsieur Garrin, pas ici…

- Si, ici, justement, il faut que vous me disiez tout sur Loïc Lekervelec… Parce que, que vous le vouliez ou pas, il est au cœur de cette histoire… Comment et pourquoi, c’est que je cherche à savoir, et vous, Josiane, vous pouvez m’y aider.

- Ah, inspecteur, c’est pour ça, alors…

Garrin lui caressait maintenant le haut de la cuisse, tout près du pli du drap qui laissait apparaître la naissance de sa toison pubienne. Josy ferma les yeux quand il lui dit :

- C’est pour ça, oui, mais aussi pour vous… Appelez-moi Edouard.

(A suivre…)

Pour lire ou relire les derniers épisodes du roman :

Le Paris de la fin des années 70. Entre rades de Barbès, Clichy, Montmartre. Narré avec l’argot du coin, loin des titis parisiens. Et une histoire d’escroc à la petite semaine qui voit débarquer l’occasion de sa vie. Une jolie fiction d’été, un cadeau (…)
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