Tonton Louis… Bien sûr qu’il l’avait reconnu, tonton Louis. Depuis la première fois, où il avait inventé le coup d’la perruque qui tourne, quand il avait cherché à zigouiller Josy, il l’avait reconnu. Sauf que reconnaître qu’il l’avait reconnu, c’était trop pour Loïc… Et puis y avait trop de trucs qui lui remontaient en vomi de souvenirs, avec des morceaux de passé dans les vomissures. Et puis, avouer qu’on avait un gros pourri d’égorgeur dans la pas belle famille, c’était pas glorieux… Et puis… et puis… Et puis merde, jamais ça finirait cette putain de barquette Lu, et cette mère dont il avait eu si honte, et ce procès où il avait dû tout raconter, les séances derrière la fente de la planche, les violences de tonton Louis, jusqu’à l’accident… L’accident. Seul témoin, il était. A six ans, obligé d’raconter l’irracontable. Et du coup, tonton, il avait mal pris la chose. « Petit merdeux », il avait gueulé, « Graine de fellouze ! J’te surinerai en sortant, et toutes tes fatmas et tous tes putains d’bicots FLN ! Tous, j’vous buterais, parole de commando ! ».
Le syndrome du vétéran, qu’ils avaient expliqué, les psy de l’armée. Y avait bien eu des témoins, des p’tits gars des environs du coin, qui étaient d’la classe à Louis, pour expliquer que là-bas, dans les Aurès, il avait pas mal trucidé l’autochtone, même femelle, et qu’il y avait pris un peu trop goût. Et du coup, de retour au pays, il était d’venu saigneur de cochons… Et toujours au poignard de commando… Alors, le coup de l’Odette Lekervelec, fallait s’y attendre un jour ou l’autre : la voix du saigneur appelle la brebis, disait le proverbe dinanadez. Vingt ans. Il avait pris vingt ans, le 20 avril 1962, un vendredi.
Et le 20 avril 1979, après dix sept ans de taule, et trois ans d’remise de peine, il sortait de Jacques-Cartier, à Rennes. C’était aussi un vendredi. Le samedi matin, Louis Rueut, dit Louis le Blédard, rodait autour de Montparnasse, à la recherche d’un bar qu’un compagnon de Jacques-Cartier lui avait recommandé : « Tu verras, Albin, le taulier, il connaît tout l’monde et son frère, à Paris. Tu lui donnes un nom, et hop, trois jours après t’as l’adresse, la situation familiale et les relations du pékin. Il est un peu onéreux, mais ça vaut l’coup ».
Et voilà comment tonton Louis était réapparu, dans la vie de Loïc et la mort d’Elo, Miche et Gina. Pour Lulu, Garrin ne put jamais savoir comment Louis se trouvait près du P’tit Poucet ce jour là. Peut-être suivait-il Fabio ?… Ou bien il cherchait Toussaint ?… Ou même Hortec lui-même ? De toutes manières, l’inspecteur principal Garrin en avait désormais la preuve : Loïc Lekervelec, peintre de fiction, était bien le Cercle Rouge où tous les personnages de cette sinistre farce devaient se retrouver, pour y crever, égorgés ou flingués. Et pourtant, il ne pouvait rien contre lui. Strictement rien, le juge Teurman avait été formel ; même pas pour faux et recel de faux, on pouvait le choper : en la matière, pas d’objet du délit, pas de délit. Garrin montra une dernière fois à Loïc, une des pièces à conviction de l’affaire : le lavis noir et bien sanguine maintenant. Fabio l’avait dans la poche quand il fut flingué par les Hortec. La balle à fragmentation, ya pas, ça éclabousse, et le Van Dongen, maculé , n’avait jamais aussi bien porté son nom : La Mort. L’inspecteur lui conseilla également d’aller prendre un peu le frais du côté du Grand Ouest, vu que la famille Hortec avait l’deuil méchant, et qu’on avait vu toute une flopée de calabrais mal embouchés aux funérailles à Fabio. Sans parler des antillais énervés d’la place Clichy.
C’est comme ça que ça s’est passé, aussi vrai qu’jsuis bistro depuis plus d’vingt cinq piges. Lekervelec, j’ai plus entendu parler d’lui. Paraîtrait qu’il a fini peintre et poivrot, du côté d’la Bretagne. Moi j’dis que quand même, s’gâter la pogne au chouchen, c’est bien triste. Parce que ça avait beau être une enflure, le Loïc, rapport au coup d’pinceau, si c’était pas Michel Ange, il aurait quand même pu faire la nique à plus d’un qui s’la joue façon artiste, et j’cite personne. Vlad s’est reconverti, et il tient un primeur, du côté de Simplon. Vlad, son truc ç’avait toujours été l’herbe, en définitive !
Quant à Josy - pauvre agnelle -, elle a fini par se remettre doucement. Elle a jamais revu ses sous ni Loïc, bien sûr. Garrin lui a fait un brin de gringue, elle a un peu cédé, mais elle avait plus l’goût à la chose de dire « je t’aime ». Aujourd’hui, elle me fait des extras, au rade, et ses espoirs de belle vie dorée sur tranche se sont bien envolés… Et c’est pour ça qu’à ceux qui viennent me dire qu’le destin ça n’existe pas, moi j’réponds : faut voir. Et que quand tu nais la morve au nez, y a pas, t’es condamné à t’moucher toute la vie.
Sinon… j’te remets un Picon bière ?…
FIN
Ah ! c’était vraiment bien moi qui ai habité à Pigalle dans les années 70 ,j’ai retrouvé beaucoup des rades de l’époque "le petit poucet " le rade de la place de la mairie etc seul manque "le chat noir" le style est bien enlevé ,que du plaisir
la suite…. on en redemande @++++