Lundi, onze heures du matin. Paris, huitième arrondissement, au bas des Champs-Elysées. Nous autres, personnels de La Tribune, venons de sortir de la station Franklin Roosevelt et marchons par petits paquets vers la partie sud de l’avenue Montaigne. Là-bas, à proximité de l’Alma Marceau, se trouve le siège de LVMH, premier groupe mondial de luxe et, accessoirement, notre futur ex-propriétaire. Il fait plutôt beau et l’air est vif. La tempête de la veille avec ses rafales de vent et ses averses violentes a eu le bon goût de se calmer durant la nuit. Dame nature est avec nous, c’est déjà ça.
Il y a moins d’une heure, nos délégués syndicaux nous ont appris l’annulation de la rencontre prévue ce jour entre eux et Nicolas Bazire, le numéro deux du groupe et ancien directeur de cabinet d’Edouard Balladur quand ce dernier était Premier ministre. C’est lui qui a pris l’initiative de ne pas recevoir nos représentants, cela parce que nous sommes en grève depuis jeudi (le journal n’est sorti ni vendredi ni lundi). Sans le vouloir, nous jouons ainsi le remake des mouvements sociaux contre la réforme des régimes spéciaux où le gouvernement a refusé de négocier tant que se poursuivait la grève. Il s’agit peut-être du nouveau credo patronal inspiré par le bon président Nicolas Sarkozy : si grève, alors pas de négociations…
Pourquoi avons-nous arrêté le travail ? Au risque de me répéter, ce n’est pas parce que notre journal est vendu mais uniquement pour empêcher que sa vente se fasse à la fois au détriment de sa pérennité et contre nos droits sociaux les plus élémentaires. Ce n’est jamais de gaieté de coeur qu’un journaliste vote pour empêcher la parution du quotidien pour lequel il travaille mais c’est parfois la seule solution pour se faire entendre et démontrer qu’il n’est pas question de se laisser faire.
Nous voici donc devant un bel immeuble de cette bien belle avenue où tout, ou presque, est luxe, grande couture et coûteux produits pour très fortunés clients et clientes. On ne veut pas recevoir nos délégués ? Et bien, nous voici, en force, en train d’improviser un piquet devant le siège de LVMH dont l’entrée est protégée par trois ou quatre solides gaillards, probables employés d’une société de sécurité (je dis cela car je les ai revus le lendemain à l’entrée d’une réception organisée par une ambassade arabe). Les premiers slogans fusent, interpellant Bernard Arnault le grand patron de LVMH : « Arnault, des sous, un avenir surtout ! ». Ou encore « Bernard, de la tune pour La Tribune ». Rires.
L’ambiance est bon enfant. Des pancartes avec le logo de notre journal sont brandies (geste fondamental en terme de communication). Les pandores en civil, plus ou moins discrets, nous observent à distance, moue dubitative et talkie-walkie à la main. Juste une remarque : il est étrange de constater à quel point cet objet signifie, sous n’importe quelle latitude, l’ordre et la force qui peut s’exercer en son nom.
Notre piquet n’est pas autorisé mais, franchement, il n’y a aucun risque de bastonnade qui plane sur nos têtes - du moins pour le moment car on verra bien ce qui adviendra si, chère Elise, la crise s’enlise. Vous comprenez, un journaliste, quand ça manifeste et proteste, ça se traite bien mieux qu’une infirmière ou une puéricultrice qui ose revendiquer quelques dizaines d’euros de plus sur sa fiche de paie…
Il commence à faire froid et la goutte colle au nez. Un petit café, dans l’un des grands hôtels de l’avenue ? N’y pensons pas, cela ne ferait pas sérieux ni mobilisé ou vigilant (tous ces termes délicieux qui font la dialectique syndicale). Gardons jusqu’au bout notre rôle de « petits » venus troubler la quiétude d’une artère très, très, bourgeoise. D’ailleurs, voici venir une dame au visage botoxé et aux lèvres chanfreinées qui nous regarde avec une lippe dédaigneuse. Comment osons-nous gêner son passage ? Mais… de quoi ? Des gueux qui contestent avec, parmi eux, ciel quelle horreur ( !), des hommes et des femmes aux torses placardés d’autocollants de la CGT ! Mais que fait Ni-coo-lâââ ?
S’amuser de la surprise, de la contrariété, voire de la peur des passants et passantes si bien mis et mises de leurs personnes, nous permet de passer le temps sans trop grelotter. Tiens, voilà les inévitables touristes japonais pour qui cette avenue est le pèlerinage ultime. Nous aurions dû prévoir des pancartes écrites dans leur langue. Images faisant le tour du monde garanties. Remarquez, il n’est peut-être pas trop tard puisque, à l’heure où j’écris ces lignes, rien ne dit qu’il n’y aura pas de prochaine fois.
Un farceur suggère de happer ce jeune Nippon à la chevelure toute en gel qui nous mitraille. Le choper et le dévêtir. Entièrement. Pour rendre célèbre la cause, pour que le monde entier entende parler de notre combat. L’idée est examinée par un petit groupe de conspirateurs mais elle est vite abandonnée. Pour vaincre, la guérilla ne doit pas s’aliéner l’opinion publique internationale. De toutes les façons, les premiers résultats sont là. De leurs fenêtres, des employés de LVMH nous adressent des signes de sympathie. Certains nous sourient, serrent le poing puis disparaissent très vite. Précaution bien compréhensible. Il y a peut-être des caméras installées dans l’immeuble en face…
Les choses s’accélèrent enfin. Un représentant de la Préfecture a fait le « go-between » entre le piquet et Bazire lequel accepte enfin de recevoir nos délégués syndicaux. Hourrah, sifflets, applaudissements mais, comme le dit si bien Salif Keita, « Nou pas bougé ». On attend la suite. Un homme entre au siège sous les quolibets. Très (trop) connu des journalistes, et bien peu du public, il s’agit de Michel Calzaroni, le patron du cabinet de relations publiques DGM dont l’un des clients, parmi d’autres grands noms du CAC 40 qui lui confient la défense de leur image, n’est autre que LVMH. Jolie coïncidence…
Les délégués reviennent. La « négo » reprendra à quatorze heures. Nouveaux applaudissements, nouveaux cris rauques. Il est temps de revenir à la rédaction en quittant cet endroit qui nous semble si lointain. La grève continue jusqu’à l’« AG » de l’après-midi. Arrêt de travail, assemblée générale, négociations, communiqués : travailler normalement, en ces temps agités, n’est pas chose aisée. Mais comme pourrait le dire Salif Keita : Nous pas lâcher.
Les journalistes de la Tribune et des Echos doivent se tenir les coudes
Les loups sont sortis rapidement de leurs trous après les élections, la bande à Balladur par exemple…
Ps Si vous manifestez à nouveau vers
l’avenue Montaigne appelez moi je viendrais avec quelques amis et………….
quelques pavés looooool