65 ans après la victoire alliée face à l’Allemagne, un réalisateur se replonge dans la "Ghost Army", une armée secrète composée d’artistes… Bakchich vous conte cette petite histoire qui a changé la grande.
« L’une des sensationnelles histoires de la deuxième guerre mondiale ». L’une des plus méconnues, aussi. Pendant des années, les soldats de la "Ghost Army" n’ont jamais eu l’autorisation de relater leurs actions héroïques durant la seconde guerre mondiale. Il y a quelques années, le Pentagone avait même nié leur existence… Rick Beyer, réalisateur américain de documentaire pour la chaîne History Channel, a tenté de mettre en lumière ces soldats de l’ombre. Des militaires peu communs qui ont réussi les plus grandes supercheries de l’histoire de l’armée.
En 1943, l’armée américaine forme dans une base militaire du Mississipi des recrues très spéciales : 1100 hommes dénichés dans des écoles d’art ou d’agences de pub. La mission de cette troupe composée de comédiens, peintres, photographes, ingénieurs du son, scénographes, attachés de presse, maquilleurs : utiliser la ruse pour duper les ennemis en se faisant passer pour d’autres soldats.
L’unité de « tromperie tactique » officiellement recensée en tant que 23ème régiment des troupes spéciales, débute « sa » guerre en mai 1944. Certains membres participent avec les Britanniques à l’« Opération Fortitude » durant le débarquement. Ils s’attachent à faire fuiter de fausses informations -avec le concours involontaire de certains pays neutres- sur une attaque des alliés dans le Pas-de-Calais et en Norvège, obligeant les Allemands à maintenir des unités loin de la Normandie.
Deux semaines après le débarquement du 6 juin 44, la cavalerie fantôme simule (avec sons et lumières) la construction d’un faux « Port Mulberry » -cette installation artificielle qui a permis d’approvisionner les armées de Normandie- afin d’attirer les feux allemands vers eux et permettre l’édification du vrai port un peu plus loin.
Après le "Jour J", les soldats de la "Ghost Army" ont monté une vingtaine de champs de batailles factices pour attirer le Teuton pendant que les autres troupes libéraient la France du joug des troupes d’Hitler. Les couturiers se chargeaient de confectionner des uniformes ressemblant le plus possibles aux unités qu’ils étaient censés imiter. Déguisés en officiers supérieurs, des acteurs faisaient semblant de se saouler dans des bars et bordels des villes libérés -mais soupçonnées d’abriter encore des espions- où ils évoquaient bruyamment leurs faux plans pour répandre la désinformation.
Grâce à des chars gonflables et des armes en caoutchouc brillamment imités (voir au début de la vidéo au bas de l’article), des reproductions d’aérodromes ou de bases militaires, des mannequins grimés en militaires et des sons enregistrés d’unités d’infanteries et d’artilleries diffusés avec des haut-parleurs géants, les 1100 soldats fantômes sont parfois parvenus à convaincre les espions allemands que leur armée était composée de 30000 hommes ! Le photographe Art Kane, le styliste Bill Blass ou le peintre Ellsworth Kelly ont servi dans cette joyeuse troupe avant de devenir des artistes réputés.
Inconnue au bataillon jusqu’en 1996, l’armée fantôme de la deuxième guerre mondiale n’a jamais eu d’hommage digne de leurs faits d’armes. L’armée U.S. ne voulant sans doute pas trop ébruiter le recrutement d’artistes sur le champ de bataille. Bien que les dossiers ont été classés ou détruits, Rick Beyer estime pourtant que des dizaines de milliers de vies ont été épargnées grâce au 23ème régiment. Le réalisateur a répertorié durant ces quatre dernières années biographies, photos, croquis, extraits de journaux intimes… de l’armée fantôme sur un site internet qui leur est dédié : ghostarmy.org.
Beyer a surtout exposé des oeuvres de ces jeunes artistes qui ont, à l’époque, peint leur histoire dans une exposition ouverte depuis le 1er mai au Michigan et recueilli les témoignages de la trentaine de survivants dans un documentaire dont il vient de diffuser un premier montage inachevé sur le web (à voir en trois parties : ici, ici, et là) qu’il cherche à distribuer (lire son appel aux dons ici). Mais au moment où nous écrivons ces lignes, le doc n’a pas dépassé les 30 vues… « J’ai tenté une levée de fonds il y a quelques années et on m’a dit qu’il n’y avait pas de place pour la créativité et l’imagination dans l’armée », explique Beyer. Il fut un temps où la créativité et l’imagination ont pourtant sauvé un tas de militaires.