L’ambassade la plus chère du monde

Le président américain n’avait pas vraiment besoin de cela. Avec ses 160 000 soldats envoyés en mission impossible dans le bourbier irakien, ses 3871 GI’s tués depuis le début de l’opération, sa popularité en chute libre, George W. Bush n’a déjà pas le sourire. Mais, depuis la mi-novembre, il s’est ajouté un souci supplémentaire à Bagdad : le chantier inachevé de la future ambassade des Etats-Unis dans la capitale irakienne fait l’objet d’une enquête du ministère de la Justice. Les dérives financières de ce projet monumental sont telles que l’on suspecte quelques mauvaises manières et détournement de fonds. Avec un budget initial de 597 millions de dollars, cette ambassade méritait déjà de figurer au livre Guiness des records, catégorie « la plus chère au monde ». Elle coûtera finalement 736 millions, soit 23% de plus, pulvérisant tous les pronostics. Quant à son achèvement, il a d’abord été repoussé de décembre 2006 à septembre dernier. Avant d’être renvoyé aux calendes irakiennes. A ce jour, personne ne sait quand l’ambassadeur US, Ryan Crocker, pourra emménager dans sa nouvelle résidence blindée.

Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’une ambassade comme les autres. Plutôt d’une forteresse imprenable. Son édification a démarré sur un terrain grand comme le Vatican, au coeur de la « Zone Verte », la plus protégée de Bagdad. Elle comportera 27 bâtiments, dont 600 appartements dont les murs doivent résister à des bombardements aériens et des tirs de mortier. Un millier de diplomates et d’employés y séjourneront en circuit fermé, avec bureaux, logements, centrale électrique, piscine, salles de sports et cinéma. Ce futur fortin diplomatique est censé symboliser « la présence à long terme » des Etats-Unis dans ce pays « ami ». Son budget annuel de fonctionnement devrait atteindre 1,2 milliard de dollars, soit l’équivalent de 8 fois celui de l’Elysée !

Mais le chantier bute sur une série de problèmes inextricables. Les plans ont été visiblement mal conçus par la société américaine d’ingéniérie KBR, filiale du groupe Halliburton. Bien qu’elle soit souvent critiquée pour ses dérapages, KBR a été particulièrement choyée ces dernières années par le Pentagone et la Maison-Blanche, où officie Dick Cheney, qui fut autrefois le président d’Halliburton. Ce qui alimente quelques soupçons de favoritisme.

Autre déconvenue : les maçons irakiens, craignant des représailles, ne se précipitent pas pour manier la truelle sur ce chantier risqué. Résultat : la société koweïtienne chargée de la construction a dû recruter des expatriés et de la main d’oeuvre étrangère, beaucoup plus coûteux. Les candidats ne sont pas légion. D’autant que les ouvriers et ingénieurs logent provisoirement dans des locaux dont les murs exahlent de grandes quantités de formaldéhyde, un composé chimique cancérigène, ce qui a provoqué de vives protestations. Par ailleurs, les sous-traitants ne semblent pas très fiables : lors d’un test des détecteurs d’incendie, une partie des installations toutes neuves a sauté. Le système électrique a dû être revu de fond en comble. Enfin, le renforcement des normes de sécurité gonfle les factures : la seule cafétaria doit coûter 28 millions de dollars. Cela fait cher du plateau-repas… A ces problèmes s’ajoutent des disputes entre les responsables du projet, au Pentagone et au Département d’Etat, qui se renvoient la balle sur les déconvenues et les retards. Alertés en octobre par des rapports budgétaires, les Congressmen ont découvert, avec stupéfaction, que l’ardoise, déjà astronomique, était en train de flamber et que l’ambassade ne serait pas terminée avant longtemps. Du coup, ils sont prêts à en découdre sur le sujet. Et maintenant, c’est la justice américaine qui commence à y mettre son nez, afin de déterminer si quelques malins n’ont pas abusé de cette pluie de dollars sur Bagdad. Bush voulait faire de cette ambassade une belle vitrine. Pour l’instant, c’est réussi !