En 1964, Henri-Georges Clouzot tourne avec Romy Schneider un film maudit qu’il abandonne au bout de trois semaines. Serge Bromberg a retrouvé les images – sublimes – de ce diamant noir.
Et si l’image la plus forte, la plus hypnotique de 2009 était vieille de… 45 ans ? Maquillée de paillettes, Romy Schneider regarde droit dans l’objectif. Derrière la caméra, une roue gigantesque projette un éclairage en mouvement. Le visage de Romy rayonne, change, se métamorphose, comme sous l’effet d’un morphing bricolé. C’est troublant, érotique, d’une beauté rare, la quintessence de l’art cinématographique : un fragment de L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot.
Ce film mythique, inachevé, dont les bobines étaient perdues ?
Je te raconte. Le 15 décembre 1960, la femme de Clouzot, Véra, meurt. Réalisateur du Salaire de la peur et du Mystère Picasso, HGC sombre dans une terrible dépression. Il s’installe à Tahiti, renonce un temps au cinéma, puis fait la connaissance, grâce à son ami le producteur Sam Spiegel, de Romy Schneider. Il en tombe raide dingue, retrouve son inspiration et écrit mille pages d’un scénario, Inferno.
C’est quoi le pitch ?
Serge Reggiani, patron d’une auberge de province, est amoureux fou de sa belle épouse, Romy. Seule ombre au tableau, il la soupçonne de s’envoyer en l’air avec tout le village. HGC veut retranscrire à l’écran la jalousie, monter la folie de l’intérieur, avec des effets très inspirés de l’art cinétique et des peintures de Vasarely, dont il était très fan.
Et alors ?
Clouzot se lance dans plusieurs mois d’essai avec Reggiani et Romy. Il veut révolutionner le septième art et il est en train d’y parvenir. Des producteurs de la Columbia visionnent ses images et lui offrent un budget ILLIMITE. Le 2 juillet 1964, le tournage commence. HGC, dont la mère vient de mourir, est déjà dans un état d’épuisement critique. A Garabit, près du Viaduc, il doit diriger simultanément trois équipes techniques. Comme à son habitude, il distribue les taloches, hurle, trépigne. Mais d’après ses collaborateurs, la Clouze piétine, débordé par son sujet, englouti par son ambition. Après trois semaines de calvaire, Reggiani fait une dépression (c’est lui qui me l’a avoué il y a une vingtaine d’années) et repart en ambulance. Clouzot veut recommencer à zéro avec Jean-Louis Trintignant, mais, épuisé, il est terrassé par une crise cardiaque. Le film est alors abandonné. Définitivement.
D’ou viennent ces images ?
En 2005, Serge Bromberg, aventurier de la bobine perdue, récupère 15 heures d’images grâce à la veuve du cinéaste, Inès Clouzot. Il interviewe des techniciens dont Costa Gavras, fait jouer les scènes manquantes par Bérénice Bejo et Jacques Gamblin, mais surtout, il donne enfin à voir ce miracle du cinéma, les images des essais et du tournage. Des plans qui brûlent et irradient : Romy qui ondule en ski nautique, attachée, nue, sur une voie ferrée, fumant une cigarette au ralenti, jouissant de son sex-appeal… Ce n’est pas spécifié dans le doc, mais HGC était un obsédé notoire, il a même failli tourner un porno dans les années 70. Le grand jaloux du film, c’était lui ! Avec ses scènes sublimes, stupéfiantes, il signe une véritable déclaration d’amour à Romy.
Pas étonnant que son cœur ait lâché…
Bien vu.
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oui, les images de Clouzot sont incroyables.
mais avouez que le film de Bromberg (sur lequel vous n’écrivez pas une ligne) est chiantissime !
cordialement
S
Cher ami,
J’attendais ces images depuis 20 ans. J’ai écrit deux bouquins sur Clouzot, j’ai interviewé la plupart des témoins (dont quelques uns sont morts maintenant) et ces bobines, c’est un peu le Graal pour moi.
Alors oui, le film est perfectible, la forme est - pour rester sympa - classique, mais ce que l’on découvre, c’est vraiment de l’or en barre. Rien que pour cela, il sera beaucoup pardonné à Serge Bromberg et Ruxandra Medrea qui ont fait un incroyable boulot.
A bientôt.