Journalistes : la campagne ça les gagne

Il est loin le temps où le général de Gaulle verrouillait l’ORTF pour en faire la voix de la France. Et pourtant la collusion entre les médias et la politique reste l’un des principaux griefs des lecteurs contre les journalistes. Cela n’a pas empêché de nombreux titulaires de la carte de presse de se porter candidat cette année dans la bataille des municipales. Certains seront même au second tour dimanche 16 mars. Un engagement dont les intéressés ne se cachent pas mais qui ne ravit pas forcément leurs rédactions respectives.

Les poids lourds

A Teste–de-Buch dans le bassin d’Arcachon, une commune de 21000 habitants, c’est Jean-Claude Dassier qui tient le haut du pavé. Numéro 5 sur une liste libérale, le directeur général de LCI « veut faire bouger cette région ». Pour Patrick Davet, tête de liste, proche de l’UMP, c’est un soutien considérable. Il le dit lui-même : « avec son réseau et ses connaissances, il va être notre ambassadeur en France et à l’étranger ». La direction de TF1 n’a rien trouvé à redire. Nonce Paolini, le patron de la chaîne, l’a même encouragé. De son côté Dassier l’assure, le contenu éditorial de LCI n’en est pas affecté. Sans blague ? Au premier tour, la liste « La Teste Ensemble » a obtenu 22,25% des voix et se retrouve ainsi en ballotage défavorable. Selon nos informations, le poste d’ambassadeur de la ville de Teste-de-Buch reste à pourvoir.

La radio n’est pas épargnée par ces nouvelles vocations. Philippe Meyer, journaliste, chroniqueur à France Inter, en est probablement le plus fameux exemple. Il s’est engagé comme tête de liste Modem, dans le Ve arrondissement à Paris, et a obtenu 14,33% des voix. En réclamant « Une ville plus humaine » (le nom de sa liste), il est parvenu à s’immiscer entre les poids lourds Jean Tibéri et Lyne Cohen-Solal. En attendant, la direction de France Inter a jugé plus cohérent de le priver d’antenne, probablement jusqu’à fin mars.

Europe 1 n’est pas en reste. Luc Evrard, qui présente le journal dans l’émission de Morandini, figure sur une liste divers droite du maire sortant à Sceaux (20000 habitants) qui est arrivée en tête à l’issue du premier tour. Une liste où figure, comme l’avait déjà raconté Bakchich, le patron de Télérama et du Monde.fr, Bruno Patino. Il a quand même fallu que les membres des rédacs concernées lisent Bakchich pour apprendre que leur boss se présentait aux municipales.

Les atypiques

Après la version chroniqueur, Paris a le droit aussi à la version grand reporter en la personne de l’inénarrable Roger Auque. Numéro 2 sur la liste UMP dans le IXe arrondissement, l’ancien otage au Liban est un ambitieux. Il déclare à qui veut bien l’entendre qu’il veut s’occuper de culture dans un arrondissement qu’il connaît pour l’avoir habité. Mais il ne s’arrête pas là. Auque participerait bien aussi au projet présidentiel d’Union pour la méditerranée. Mais il ne quittera pas le journalisme pour autant. Il en formera même la relève marocaine à la chaîne de télévision Medi 1 Sat à Tanger. Le grand reportage a de beaux jours devant lui. Pour lui aussi, ballotage. Réponse donc le 16 mars.

Mais certains ont des ambitions plus affectives. C’est le cas de Pierre Péan, aujourd’hui écrivain, hier journaliste réputé notamment pour son livre sur Le Monde, élu au premier tour à Maumusson, petite bourgade de 950 âmes en Loire-Atlantique. Pour lui, l’engagement dans la vie de la cité procède d’attaches sentimentales. Sa famille y était déjà présente au XIXème siècle. Élu sur son projet de médiathèque, Péan n’en est pas à son coup d’essai. En 1989, il avait déjà rencontré le succès des urnes à Bouffémont, dans le Val d’Oise. « Loin des idées très parisiennes, je suis stupéfait par le dynamisme de la vie associative et de la très grande importance du bénévolat », affirme-t-il. Une belle histoire d’amour en somme. De là à ce qu’il en sorte un bouquin…Ah non, il l’a déjà commis en 1987.

Couacs à France 3 Sud

Mais l’engagement politique des journalistes n’est pas toujours sans risque. A France 3 Sud (Toulouse et Montpellier), par exemple, la rédaction a connu une petite hémorragie. Onze journalistes ont quitté temporairement la rédaction pour livrer la bataille des municipales. Un mini-séisme à l’échelle d’une rédaction régionale dont les syndicats n’ont pas tardé à réagir. « On accepte le droit de tous citoyens à se présenter à des élections, mais on doit réfléchir au problème d’éthique que cela pose. Il faut être vigilant pour qu’on ne puisse pas nous reprocher notre manque d’indépendance dans le traitement des sujets », explique Thierry Will, le délégué SNJ de la rédaction de Montpellier. Surtout quand parmi les 11 journalistes en question, on trouve l’un des rédacteurs en chef…

La démocratie locale attire donc. Et parfois même des stars du petit écran, qui mettent leur notoriété au service d’une cause politique ou familialo-politique… Ainsi, comme l’a révélé récemment Le Point, Laurence Ferrari, journaliste politique à Canal +, s’est rendue à Aix-les Bains, sa ville natale, pour soutenir Gratien Ferrari, son cher papa, ancien député-maire UDF de la commune. Mais malheureusement sans succès (9,60% des voix). Il faut dire qu’en face, il y avait du lourd en la personne de Dominique Dord, le maire sortant, soutenu par… Marina Ferrari, la cousine de Laurence. « Du contact et de la distance », disait Hubert-Beuve Méry, voilà donc pour le contact, on verra plus tard pour la distance.

Lire ou relire le numéro de Bakchich consacré aux municipales :

Des municipales au poil