L’autobiographie de l’écrivain américain qui a bouleversé la littérature du XXe siècle en brisant les tabous d’une société puritaine. De Brooklyn à Paris, l’ancien éboueur déroule sa vie en toute franchise.
Vous avez remarqué que tous nos romanciers ont fait Normale sup. Donc, tomber sur un tout petit bouquin Ma vie et moi, dans lequel feu Henry Miller nous fait partager son existence, réconcilie avec la littérature, celle qui ne s’apprend pas à l’école. Ce fils de tailleur luthérien, ivrogne à Brooklyn, en substitut d’hypokhâgne, a démarré commis à la société des ciments Atlas, à Portland. Pour continuer ce bout de chemin en Amérique, rappelons John Fante, qui a passé une partie de sa jeunesse dans des conserveries. Puis le mode de vie aléatoire de la beat generation, celle qu’a fait naître Miller.
Afin d’améliorer la qualité de ce que proposent nos libraires, peut-être serait-il utile de relancer l’école des écrivains mal élevés ? En France, sans même consulter de dictionnaire, on peut citer Gaston Bachelard, Louis Guillou, Roger Vaillant, Yves Gibeau et des kyrielles de types qui ont écrit dans le reflet des caniveaux.
Maintenant, nos auteurs sont cavaliers – et là on regrette que le cheval ne soit pas celui qui tienne la plume – ou professeurs d’université. Petits bourgeois fils de petits bourgeois. Si leur qualité de normaliens les changeait en Sartre, Nizan ou Gracq… Non, tout ça se termine en Mazarine Pingeot. Aujourd’hui, les enfants de pauvres l’ont bien compris, pour faire fortune ils ne veulent pas être Hugo mais Tapie. Un conseil, si vous tenez à être célèbre, soyez d’abord riche, tous font aussi des bouquins et passent à la télé.
C’est à force de lire à la bibliothèque publique qu’Henry Miller est devenu écrivain. La nécessité de dire la vie, avec des mots et du papier, lui est venue comme, chez d’autres gosses, le goût du football. Quand il rentrait à la maison, de son emploi d’éboueur ou de chauffeur de tram, et tapait sur la machine à écrire, sa mère, honteuse de cette pratique, lui demandait de se cacher dans un placard, dans le parfum des boules de camphre, en cas de visite. Miller, toujours poussé par une femme – elles ont été son essence –, décide de filer en Espagne. Il s’arrête en France, une chance. Quoi de plus parisien et français, au sens du chef-d’oeuvre, que son Tropique du cancer ou que ses Jours tranquilles à Clichy ?
N’écrivons pas l’une de ces fiches qui font la sous-culture de nos lycéens : « Henry Miller en cent mots. » L’important du petit livre qui vient de sortir en français est qu’il contient la recette de l’écriture. Miller explique : « La vérité est que j’avais peur de devenir écrivain, c’était trop énorme… ayant tout essayé et tout raté – alors pourquoi ne pas tenter d’écrire. »
Aujourd’hui, nos écrivains ne tentent rien que directement le PC ou le Mac, et le manuscrit expédié par Internet sur le site de l’éditeur. Pour le non-normalien, le blocage de l’écriture se cache dans la première phrase. Comment mieux faire que « J’avais vingt ans et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie » ou « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar » ? Miller a donné la clé : « Que de fois dans ma vie d’écrivain j’ai eu du mal à commencer. Mais je commençais. Par tout ce qui me passait dans la tête – pur non-sens, habituellement. Au bout de deux pages, j’avais trouvé le sillon. Peu importe par où l’on commence, on revient toujours à ce que l’on est. » Miller nous explique à sa façon le « Madame Bovary, c’est moi ! » de Flaubert.
Dear Henry est plus précis encore sur sa méthode, inspirée de l’écriture automatique des surréalistes. Sur la page blanche, il met « tout ce qui passe par la tête – les pires absurdités, sans virgules ni ponctuation, sans suite d’aucun ordre – jusqu’au moment où ce que l’on a envie de dire vient à sourdre ». Miller travaille à la machine « qui écrit la vérité », et garde la plume, la main, pour « le mensonge de la conversation » : « C’est à la machine que j’ai l’impression de me donner entièrement. » À bas Normale sup, vive le cours Pigier.
En réponse à Clara : il apparaît qu’une certaine incompréhension des propos tenus dans cet article vous habite…
Les gens cultivés savent en général écrire, dites-vous.
Vous êtes sûre que la littérature, c’est "savoir écrire" ? En général, du moins c’est à espérer, quand on est journaliste, on "sait écrire"… Est-ce que les journalistes sont des écrivains ?
Si tous les gens cultivés, sachant écrire, étaient des écrivains, ça se saurait. Hélas, des écrivains, des vrais, des créateurs de littérature, il y en a de moins en moins… Suffit pas d’être publié pour être écrivain, Clara.