Les « émeutes de la jeunesse en Grèce », déclenchées suite à la mort d’un adolescent tombé sous les balles d’un policier le 6 décembre, ne sont pas terminées.
Vendredi 12 décembre, la tension était encore importante dans les rues d’Athènes. Des manifestants progressant derrière des banderoles « L’Etat tue » et « Le gouvernement est coupable de meurtre » ont tenté d’enfoncer les cordons anti-émeutes à proximité du parlement grec. Dans la journée de samedi, des manifestants s’en sont pris à un bâtiment ministériel. Samedi soir, les heurts ont duré jusqu’à 2h30 du mat’ et la police a annoncé avoir interpellé 86 jeunes au cours de la nuit, 423 depuis le début des « émeutes ». Les dégâts s’élèvent, selon une estimation provisoire, à 200 millions d’euros pour la ville d’Athènes. Plus les gaz lacrymogène ! Selon la journaliste Maria Margaronis, correspondante du Guardian à Athènes, les flics auraient utilisé 4 600 capsules de gaz lacrymo en une semaine.
La une de Ta Nea, vendredi 12 décembre, était, à l’image des commentaires de la majeure partie de la presse grecque, pessimiste quant à l’avenir du premier ministre. Et titrait : « Le glas sonne pour Caramanlis ». Dimanche, un sondage paru dans le quotidien Kathimérini révélait que six grecs sur dix estimaient que les événements de la semaine passée étaient un « soulèvement populaire ». 69% des personnes interrogées estimaient que le gouvernement gérait « plutôt mal » la crise, et 20% seulement apportaient leur soutien au premier ministre Caramanlis.
L’assemblée générale de la prestigieuse école Polytechnique occupée d’Athènes, le QG (à forte charge symbolique en raison de son rôle dans la chute des colonels en 74) des étudiants mobilisés car la police n’y entre pas, a lancé un appel mondial vendredi.
« Pour des actions de résistance au niveau Européen et global en mémoire de tous les assassinés, jeunes, migrants et tous ceux qui luttent contre les sbires de l’Etat. Carlo Juliani, les jeunes des banlieues en France, Alexandros Grigoropoulos et tous les autres, partout dans le monde. Nos vies n’appartiennent pas aux Etats ni à leurs assassins ! La mémoire des frères et sœurs, amis et camarades assassinés reste vivante par le biais de nos luttes ! Nous n’oublions pas nos frères et sœurs, nous ne pardonnons pas leurs tueurs. S’il vous plaît, traduisez et diffusez ce message autour de vous pour une journée d’actions de résistance coordonnées dans le plus grand nombre d’endroits possible, autour du monde. »
Difficile d’évaluer aujourd’hui la portée et l’impact de l’appel. Une certitude cependant, les polices européennes surveillent de très près le moindre bruissement en Europe pouvant être lié à la vague de contestations grecque.
La semaine passée, on a manifesté en Espagne et en Italie. En France, le rassemblement, vendredi 12, d’un peu plus d’une centaine de personnes à proximité de l’ambassade de Grèce, n’avait rien de menaçant. Quelques jeunes portant fièrement leur keffieh ont certes crié « Police assassin », mais sans violence. Pourtant, six jeunes ont été arrêtés en marge de la manif’, pour « agression sur personne dépositaire de l’autorité publique, jets de pierres, destruction de matériel urbain en réunion ». C’est-à-dire un panneau publicitaire et deux feux tricolores démontés, plus un pare-brise endommagé. Après 48 h, ils sont toujours en garde à vue. 48 h c’est beaucoup pour si peu, mais ce sont peut-être les dangereux terroristes de l’ultra gauche !
L’écrivain Grec Takis Théodoropoulos, chroniqueur à Ta Nea déclarait à Thierry Oberlé du Figaro.fr : « Quant aux jeunes, eux, ils (…) dénoncent l’État policier alors que la police est un secteur public qui fonctionne mal, comme d’ailleurs tous les secteurs publics grecs. (…) Cette jeunesse est le reflet d’une société en faillite. Elle en est la partie la plus sensible et exprime de façon plus bruyante une implosion du système politique, économique et social. »
La Grèce est dirigée par trois grandes familles de leaders politiques et leurs amis, les Caramanlis et les Mitsotakis pour Nouvelle Démocratie (parti de droite conservateur) et les Papandréou pour le PASOK (Mouvement Socialiste Panhellénique, social démocrate). Ils sont tout aussi doués pour faire des affaires – les scandales financiers touchent autant les deux partis – que pour se maintenir à la tête des appareils politiques.
Depuis une semaine, la seule proposition concrète est avancée par Georges Papandréou. En dehors de « revendiquer le pouvoir », il propose « d’augmenter les crédits de l’éducation ». Un peu maigre pour calmer une jeunesse dont 20% vit sous le seuil de pauvreté et 25% est au chômage. Certain cependant de tenir l’occasion de revenir aux affaires, il a lancé, lundi 17 décembre, à propos de son rival Caramanlis : « Son temps politique est révolu, et sans la confiance du peuple, il reste accroché et traîne le pays dans des aventures (…) Assez, c’est au peuple de donner la solution ».
Si Caramanlis fait pour l’instant face et rejette les appels à la démission, la presse grecque assure que l’unité gouvernementale est une façade. Plusieurs ministres ont déjà proposé de rendre leur tablier et des rumeurs persistantes annoncent la tenue de législatives anticipées pour fin janvier. Le gouvernement est en effet en face de deux options : l’emporter sur le terrain sécuritaire en laissant pourrir la situation, ou trouver la voie d’un dénouement politique rapide, sans presque aucune marge de manœuvre en dehors de la convocation d’élections.
La jeunesse est trop déterminée pour lâcher le morceau et a le soutien de la population. « Je pense, comme les autres manifestants, que ce gouvernement qui assassine doit tomber. En quatre ans, il n’a fait qu’adopter des réformes allant à l’encontre des étudiants », expliquait vendredi Maria, une manifestante de 22 ans. « On ne voit aucun avenir devant nous. Nous n’avons un avenir que par la lutte ». Qui continue.
Lire ou relire sur Bakchich.info :
http://emeutes.wordpress.com http://libcom.org/news/letter-students-december-2008-16122008
Lettre ouverte des travailleurs d’Athènes à ses étudiants, dans le contexte des bouleversements sociaux qui ont suivi l’assassinat policier d’un jeune garçon.
Notre différence d’âge et l’éloignement rendent difficile la discussion dans la rue ; c’est pourquoi nous vous envoyons cette lettre.
La plupart d’entre nous ne sont pas (pour l’instant) devenus chauves ou bedonnants. Nous avons fait partie du mouvement de 1990-1991, dont vous avez dû entendre parler. A l’époque et alors que nous occupions nos écoles depuis 30/35 jours, les fascistes tuèrent un enseignant parce qu’il avait outrepassé son rôle (qui est d’être un gardien) et qu’il avait rejoint le mouvement adverse ; il nous avait rejoint dans notre combat. Alors même les plus forts d’entre nous rejoignèrent la rue et ses émeutes. Pourtant, à l’époque, nous n’envisagions même pas ce que vous faites si facilement aujourd’hui : attaquer les commissariats (bien que nous chantions : “Brûlons les commissariats !”…).
Vous avez donc été plus loin que nous, comme il arrive toujours au cours de l’histoire. Bien sûr, les conditions sont différentes. Dans les années 90, ils nous firent miroiter des perspectives de succès personnel et certains d’entre nous y crûrent. Maintenant plus personne ne peut croire leurs contes de fées. Vos grands frères nous l’ont prouvé durant le mouvement étudiant 2006/2007 ; à votre tour, vous leur rédégueulez en pleine face leurs contes de fées.
Jusqu’ici tout va bien.
Maintenant les questions intéressantes mais difficiles vont apparaître.
Nous allons vous dire ce que nous avons appris de nos combats et de nos défaites (parce qu’aussi longtemps que ce monde ne sera pas le nôtre, nous serons toujours les vaincus) et vous pourrez vous servir comme vous le souhaitez de ce que nous avons appris :
Ne restez pas seuls ; faites appel à nous ; contactez autant de personnes que possible. Nous ne savons pas comment vous pouvez le faire, mais vous y arriverez certainement. Vous avez déjà occupé vos écoles et vous nous dites que la raison la plus importante est que vous n’aimez pas vos écoles. Impeccable. Maintenant que vous les occupez, changez leur rôle. Partagez vos occupations de bâtiments avec d’autres personnes. Faites que vos écoles soient les premiers bâtiments à accueillir de nouvelles relations. Leur arme la plus puissante est de nous diviser. De la même façon que vous n’avez pas peur d’attaquer leurs commissariats parce que vous êtes ensemble, n’ayez pas peur de nous appeler pour que nous changions nos vies tous ensemble.
N’écoutez aucune organisation politique (qu’elle soit arnachiste ou n’importe quoi d’autre) Faites ce que vous avez besoin de faire. Faites confiance aux gens, pas aux idées et aux schémas abstraits. Ayez confiance en vos relations directes avec les gens. Ne les écoutez pas quand ils vous disent que votre combat n’a pas de contenu politique et qu’il devrait en avoir un. Votre combat est le contenu. Vous n’avez que votre combat et il ne tient qu’à vous seuls de conserver son avance. C’est seulement votre combat qui peut changer votre vie, à savoir vous-même et vos vraies relations avec vos camarades.
N’ayez pas peur de la nouveauté. Chacun de nous en vieillissant a des idées gravées dans le cerveau. Vous aussi, bien que vous soyez jeunes. N’oubliez pas l’importance de cela. En 1991, nous avons senti l’odeur du nouveau monde et ne l’avons pas trouvé très agréable. On nous apprenait qu’il y a des limites à ne pas dépasser. N’ayant pas peur des destructions d’infrastructures. N’ayant pas peur des vols dans les supermarchés. Nous avons produit tout cela, c’est à nous. Comme nous dans le passé, vous avez été élevés pour produire des choses qui ensuite ne vous appartiennent plus. Reprenons tout cela et partageons-le. Comme nous partageons nos amis et notre amour parmi nous.
Nous nous excusons d’écrire cette lettre rapidement, mais nous l’avons écrite sur notre lieu de travail, à l’insu de notre patron. Nous sommes prisonniers du travail comme vous l’êtes de l’école.
Nous allons maintenant mentir à notre patron et quitter notre boulot sous un faux prétexte, pour vous rejoindre à Syntagma, les pierres à la main.
Alignés au mur, fils de pute ! Nous sommes arrivés pour prendre ce qui nous appartient…
Lundi 15 Décembre 2008
En ces jours de rage, le spectacle comme une relation de puissance, une relation qui imprime son souvenir sur les objets et les corps, est confronté à un diffus contre-pouvoir qui déterritorialise le vécu, lui permettant de s’éloigner de la tyrannie de l’image pour s’aventurer dans le domaine des sens. Les sens ont toujours été perçus comme antagonistes (ils réagissent toujours contre quelque chose), mais dans les conditions actuelles, ils se dirigent vers une polarisation de plus en plus aiguë et radicale.
Des caricatures soi-disant pacifiques des médias bourgeois ( “la violence est toujours inacceptable, partout dans le monde”), nous ne pouvons que nous gausser : leur loi, leur loi d’esprit obéissant et consentant, de dialogue et d’harmonie ne sont rien d’autre qu’un bestial plaisir bien calculé : un carnage garanti. Le régime démocratique sous son verni pacifique ne tue pas un Alex chaque jour, précisément parce qu’il tue des milliers de Ahmets, Fatimas, JorJes, Jin Tiaos et Benajirs : parce qu’il assassine systématiquement, structurellement et sans remords l’ensemble du tiers monde, qui est le prolétariat mondial. C’est de cette façon, à cause de ce quotidien massacre à froid, qu’est née l’idée de liberté : la liberté non pas comme un prétendu bienfait humain, ni comme un droit naturel pour tous, mais comme le cri de guerre des damnés, comme le principe de la guerre.
La classe bourgeoise et son histoire officielle nous lavent le cerveau avec la légende d’un progrès graduel et stable de l’humanité au sein duquel la violence n’est qu’une désolante exception découlant d’un sous-développement économique, culturel et émotionnel. Pourtant, nous tous qui avons été écrasés entre les pupitres d’école, derrière les bureaux, les usines, ne savons que trop bien que l’histoire n’est rien d’autre qu’une succession d’actes bestiaux reposant sur un système de règles mortifères. Les gardiens de la normalité déplorent que la loi ait été violée par la balle du revolver de Korkoneas le Porc (le flic tueur). Mais qui ne sait pas que la vigueur de la loi est simplement la force de la puissance ? Que c’est la loi elle-même qui permet le recours à la violence contre la violence ? La loi est vide de bout en bout, elle n’a aucun sens, ni aucun autre but que celui de déguiser la force du pouvoir.
Dans le même temps, la dialectique de la gauche tente de codifier le conflit, la bataille et la guerre, avec la logique de la synthèse des contraires. De cette manière, il construit un ordre, un état pacifié au sein duquel tout a sa propre petite place. Pourtant, le destin du conflit n’est pas la synthèse - comme le destin de la guerre n’est pas la paix. L’insurrection sociale contient la condensation et l’explosion de milliers de négations, pourtant elle ne contient en aucune de ses sous-parties, ni en aucun de ses moments, sa propre négation, sa propre fin. C’est toujours avec une certitude lourde et sombre qu’arrivent les institutions de médiation et de normalisation, de la gauche promettant le droit de vote dès 16 ans, le désarmement mais le maintien des porcs, l’État-providence, etc. En d’autres termes, en voilà qui souhaitent tirer un gain politique de nos blessures. La douceur de leur compromis suinte le sang.
Ceux qui sont contre la violence sociale ne peuvent pas être tenus pour responsables de ce qu’ils n’assument pas : ils sont destructeurs de bout en bout. Si les luttes contemporaines ont quelque chose à nous apprendre, ce n’est pas leur triste consensus sur un objet (la classe, le parti, le groupe), mais leur processus systématiquement anti-dialectique : pour eux, l’acte de destruction ne contient pas nécessairement une partie créative. En d’autres termes, la destruction de l’ancien monde et la création d’un nouveau monde sont pour eux deux processus discrets mais continus. Pour nous, la question est plutôt quelles méthodes de destruction de l’existant peuvent être développées en différents lieux et moments de l’insurrection ? Quelles méthodes peuvent non seulement maintenir le niveau et l’ampleur de l’insurrection, mais contribuer à son amélioration qualitative ? Les attaques de commissariats, les affrontements et les barrages routiers, les barricades et les batailles de rue, sont maintenant un phénomène social quotidien dans les villes et au-delà. Et ils ont contribué à une déréglementation partielle du cycle de production et de consommation. Et pourtant, ils ne sont qu’une attaque partielle de l’ennemi ; il est évident que nous restons piégés dans une seule et unique dimension de l’attaque contre les relations sociales dominantes. Car le processus de production et de circulation des marchandises en lui-même, autrement dit le capital comme relation, n’est qu’indirectement touché par les mobilisations. Un spectre plane sur la ville embrasée : celui de la grève générale sauvage à durée indéterminée.
La crise capitaliste mondiale a ôté aux patrons leur réponse la plus énergique et la plus mensongère à l’insurrection : « Nous vous offrons tout et pour toujours, alors que tout ce qu’eux peuvent vous offrir n’est qu’un présent incertain”. Avec ses entreprises qui s’effondrent les unes après les autres, le capitalisme et son Etat ne sont plus en mesure d’offrir quoi que ce soit d’autre qu’un lendemain pire de jour en jour, une situation financière asphyxiante, des licenciements, la suspension des pensions de retraite, des coupes dans les budgets sociaux, la fin de la gratuité de l’enseignement. Au contraire, en seulement sept jours, les insurgés ont prouvé par la pratique ce qu’ils peuvent faire : transformer la ville en un champ de bataille, créer des enclaves de communes dans l’ensemble du tissu urbain, abandonner l’individualité et sa sécurité pathétique, rechercher la formation de leur force collective et la destruction totale de ce système meurtrier.
À ce moment historique de la crise, moment de rage et de rejet des institutions auquel nous sommes finalement parvenus, la seule chose qui peut transformer le système de déréglementation en une révolution sociale est le rejet total du travail. Quand les combats se dérouleront dans des rues assombries par la grève de la compagnie d’électricité, lorsque les affrontements auront lieu au milieu de tonnes de déchets non collectés, lorsque les tramways seront abandonnés au milieu des rues, bloquant les flics, lorsque l’enseignant en grève allumera le cocktail molotov de son élève révolté, nous serons enfin en mesure de dire : Camarade, “les jours de cette société sont comptés ; ses raisons et ses mérites ont été pesés, et trouvés légers”. Aujourd’hui, cela n’est plus un simple fantasme, mais une possibilité réelle dans la main de chacun : la possibilité d’agir concrètement sur le concret. La possibilité d’apercevoir les cieux.
Si tout cela, à savoir l’extension du conflit dans la sphère de la production-distribution, avec ses sabotages et ses grèves sauvages, semble prématuré, ce ne serait que parce que nous n’avons pas réalisé à quelle vitesse le pouvoir se décompose, à quelle vitesse les méthodes de confrontation et les formes de contre-povoir se diffusent socialement : des lycéens qui caillassent les commissariats aux employés municipaux et aux voisins qui occupent les mairies. La révolution ne se fait pas par la croyance et la foi en des conditions historiques à venir. Elle se fait en saisissant n’importe quelle occasion d’insurrection dans chaque aspect de la vie sociale, en transformant notre animosité envers les flics en une grève définitive aux pieds de ce système.
Dehors les porcs !
14 décembre 2008 - Initiative du Comité d’Occupation de l’Ecole Athénienne d’Economie et d’Affaires
à propos des lacrymogènes :
"Police sources say they are running out of teargas after using more than 4,600 capsules in the last week and have urgently contacted Israel and Germany for more stocks." Reuters, Fri Dec 12, 2008 12:40pm EST, avant-dernier paragraphe