En Grèce, la mort d’un adolescent sous les balles d’un policier samedi 6 décembre a déclenché une explosion sociale jamais vue dans le pays. Ce ne sont pas tant les conditions atroces de cette mort, s’apparentant davantage à une exécution, qui sont à l’origine de cette explosion mais bien l’impasse sociopolitique et économique dans laquelle se trouve la Grèce depuis quelques années déjà.
Après 2004, année des Jeux Olympiques d’Athènes qui ont nourri les illusions de tout un peuple, le retour à la réalité, qui a coïncidé avec l’arrivée de la droite au pouvoir, a été rude. L’incident dramatique de samedi dernier a fait éclater au grand jour les tensions extrêmes qui se cachent derrière le cliché de paradis touristique et d’insouciance méditerranéenne.
Ces tensions sont le résultat des politiques néo-libérales mises en œuvre par les gouvernements successifs depuis le milieu des années 90, doublées par les particularités du pays : une classe politique corrompue et incapable d’apporter des solutions dans un monde complexe ; la démystification des piliers idéologiques de la société grecque comme l’Eglise orthodoxe, secouée par des scandales à répétition ; un Etat clientéliste ; l’arrivée massive d’étrangers dans un pays sans tradition d’émigration et sans les moyens d’y répondre ; une police violente jouissant d’une impunité totale…
Face à ces bouleversements, la seule réponse de l’élite économique et politique a été l’incitation vers un consumérisme à outrance et la mise en avant du modèle de la réussite individuelle au détriment de l’intérêt général. Comme dans beaucoup d’autres pays européens, c’est la jeunesse et les classes populaires qui ont été les victimes principales de cet accroissement des inégalités sociales et de la perte de repères identitaires. La montée du chômage, de la précarité, de la pauvreté et de l’incertitude professionnelle pour la majorité de la population a été concomitante à l’enrichissement d’un groupe dominant et hétéroclite constitué de politiciens, d’hommes d’affaires et des vedettes de la télévision.
La souffrance de ce que l’on est venu à appeler génération de 700 euros, en référence aux salaires de misère qui sont proposés à des jeunes qualifiés, fait écho aux revendications formulées en France par des collectifs tels que Jeudi Noir ou Génération-Precaire. Ce groupe social constitué de lycéens, d’étudiants et de jeunes actifs a rencontré dans les rues enflammées d’Athènes les enfants d’immigrés marginalisés pour former un cocktail explosif. Comme pour les troubles de 2005 en France, l’intensité de la violence est à la mesure de l’absence de perspective et surtout de l’inexistence d’une expression politique organisée à la défense de cette génération.
La réponse de l’establishment risque d’être le renforcement de la répression policière et l’intensification de la politique sécuritaire, à moins qu’un dénouement politique peu probable, comme la démission du gouvernement, intervienne. Néanmoins, les événements de ces derniers jours, malgré leur caractère proprement dramatique, sont aussi source d’espoir.
La réaction immédiate de l’opinion publique au meurtre du jeune Alexis Grigoropoulos, malgré une couverture médiatique ambiguë de l’événement dans les premières heures, a démontré que les réflexes de la société grecque sont toujours aussi vivaces. Le lien avec des revendications sociales longtemps mises de côté est paru pour beaucoup comme une évidence. Malgré les débordements, le mouvement de protestation a constitué l’épicentre d’une multitude d’initiatives venant de la société civile qui convergent vers une critique radicale de la situation actuelle. Dans cet élan, les outils de communication et de coordination offerts par l’internet constituent le support de cette critique. Une information alternative s’organise et se diffuse en opposition aux médias dominants qui, pour la première fois, sont privés de leur monopole sur les moyens de formation de l’opinion publique. Dans bien de cas, ils sont même obligés de suivre le mouvement en reprenant des informations révélées par l’information citoyenne.
De là à infléchir la politique actuelle le chemin est long est tortueux pour les jeunes Grecs. Les jours qui viennent seront à ce titre décisifs.
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