Dans l’affaire des millions envolés de l’UIMM, le président de la fédération patronale, qui doit être débarqué jeudi matin, confie qu’il se comportera comme l’ancien bras droit de Chirac, Michel Roussin : une tombe…
Que les ministres, les élus, les syndicalistes qui lisent Bakchich soient rassurés. L’affaire des millions disparus de l’UIMM, l’Union des industries métallurgiques, n’est pas prête de progresser. Ou si un tel malheur arrive, ce ne sera pas du fait de Denis Gautier-Sauvagnac, surnommé « DGS », celui par qui le scandale arrive, que le bureau de la fédération a décidé de débarquer jeudi 15 novembre au matin afin de promouvoir une « réforme » de la fédération.
Alors que l’enquête préliminaire, dirigée heure par heure par le parquet de Paris, s’attelle à examiner si les placements et les investissements financiers effectués par l’UIMM sur 136 comptes bancaires – 47 appartenant à la fédération et 89 à des responsables – ne cachent pas d’éventuelles turpitudes, les destinataires des quelque 20 millions d’euros retirés en liquide à la BNP-Paribas depuis l’an 2000 restent mystérieux. Hommes politiques ? Partis ? Syndicats ? Mystère. « Personne, ni dans la classe politique, ni à la tête des syndicats, n’a été très virulent dans cette affaire », remarque un proche de DGS. Seules découvertes des enquêteurs : quelques milliers d’euros ont été versés en compléments de salaire à des cadres de la fédération, un « prêt » de 300 000 euros a été accordé à Denis Gautier-Sauvagnac dans des conditions que la justice vérifie, et un ancien président de l’UIMM, Daniel Dewavrin, aurait utilisé un peu de ce cash pour partir en vacances. « C’est à la justice de prouver que l’argent n’a pas été utilisé conformément à l’objet de la fédération », souligne un magistrat. Avec des valises de billets, par définition non traçables, la tâche sera rude… Selon les informations de Bakchich, aucun dépôt massif ou suspect n’aurait été effectué sur les comptes personnels de DGS. À moins que ce monsieur ait pris la peine d’en ouvrir d’autres en Suisse ou dans quelque paradis fiscal. Impensable !
En petit comité, DGS, qui passe son temps avec son avocat, assure qu’il sera plus silencieux qu’une tombe. En substance, comme le répète à Bakchich l’un de ses proches, cela donne : « Je serai comme Michel Roussin. Si jamais je parlais, la classe politique et les syndicats ne seraient plus qu’un champ de ruines. Je ne peux pas être à l’origine d’un tel déballage ». Sa référence à Michel Roussin, l’ancien officier de gendarmerie qui connaît tout les secrets de Jacques Chirac, est transparente. Même en prison, l’ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac à la Mairie de Paris n’a jamais craqué, encore moins livré une seule information aux différents juges qui l’ont titillé… Mais après quelques non-lieux, il a – après une longue bagarre de procédure – été condamné en octobre 2005 dans l’affaire des marchés publics d’Ile-de-France pour « complicité et recel de corruption » à quatre ans de prison avec sursis, avec en sus 50 000 euros d’amende et cinq ans de privation des droits civiques. Une condamnation confirmée en appel.
« Voilà à quoi monsieur Gautier-Sauvagnac s’expose s’il refuse d’expliquer ce qu’il a fait de l’argent retiré des comptes bancaires de l’UIMM : une condamnation en bonne et due forme et un énorme redressement fiscal, car même s’il assume les retraits, on peut supposer qu’il ne les a pas déclarés au fisc… », plaisante un proche du dossier. Probablement une langue de vipère. En attendant, s’il se résout à porter le chapeau, DGS pourrait se sentir bien seul sur le banc des accusés. Si l’affaire se termine par un procès. A entendre les proches de l’UIMM, « il n’est pas impossible que la distribution d’argent fasse partie de ce qu’on pourrait appeler l’objet social de l’UIMM, même s’il ne s’agit pas d’une société ». La fédération par exemple « définit une politique sociale commune et cohérente en veillant à la sauvegarde de l’intérêt collectif, avec le souci constant d’assurer l’unité et la solidarité de ses membres ». Pas de préjudice, pas de plainte. Si la solidarité passe par les billets, pourquoi pas…
Au sein de l’UIMM, une fédération professionnelle regroupant 130 syndicats de branche et 85 chambres syndicales territoriales, où l’opacité règne en maître, rares sont ceux qui connaissent les dessous de l’affaire. Son site Internet ne livre pas une seule information, hormis les deux communiqués de la fin septembre consécutifs à la sortie de l’affaire dans la presse. C’est chiche. Ils proclamaient la « totale confiance de l’UIMM en Denis Gautier-Sauvagnac et en son intégrité ». La messe était dite.
« Seuls les présidents successifs de la fédération savent où sont partis les fonds et comment il a pu ”fluidifier” certains rouages. Leurs collaborateurs ont été tenus dans l’ignorance. Chaque président sortant de l’UIMM a livré sous le sceau du secret à son successeur, au cours d’une passation de pouvoirs, les arcanes de l’utilisation de l’argent », continue l’interlocuteur de Bakchich. Des passations de pouvoir aussi explosives que celles du code nucléaire à l’Elysée. Les anciens présidents – dont certains ont déjà été perquisitionnés – peuvent se préparer à des auditions aux petits oignons à la brigade financière, notamment ceux qui ont eu la délicatesse de soutenir leur copain DGS dans la presse. Daniel Dewavrin, qui fut en son temps le président de Luchaire, une entreprise d’armement, a été un temps suspecté de financement politique occulte et inculpé, comme Bakchich l’a raconté.
Le scandale d’un « Irangate à la française » avait révélé des ventes d’armes illégales de Luchaire à l’Iran, pays sous embargo, et des retours d’argent vers le Parti socialiste. Proche de Mitterrand, Charles Hernu avait été mis en cause. Le pouvoir ayant refusé de lever le secret défense, l’enquête judiciaire avait été stoppée. Et l’inculpation de Dewavrin, annulée. Les enquêteurs devront ressortir leurs livres d’histoire.
Jeudi matin, le conseil d’administration de l’UIMM va proposer de procéder au remplacement de Denis Gautier-Sauvagnac, un choix qui sera ensuite validé par le bureau, le vrai organe décisionnel de la fédération, qui regroupe 17 membres dont certaines pointures telles Anne Lauvergeon (présidente d’Areva), Jean-Paul Bechat (ex-président de Safran), Jean-Marie Poimboeuf (président de DCN) ou Christian Streiff (PSA Peugeot-Citroën). Quelques PDG se sont portés candidats, comme Jean-Paul Béchat. Mais en interne, il se dit que la fédération peut patienter avant de se doter d’un nouveau président. Qu’en sera-t-il du délégué général, mandataire social de l’UIMM ayant la haute main sur la fédération, un certain… Denis Gautier-Sauvagnac ? Il devrait être maintenu à son poste, en attendant l’arrivée d’un nouveau président. « Cela ne servirait à rien de nommer d’ores et déjà un délégué général si le président suivant veut choisir le sien », plaide un proche de la fédération. Après DGS… DGS ?