Air France aime bien les journalistes, tant qu’ils le lui rendent bien. Ainsi, au sujet du crash du supersonique le 25 juillet 2000, en procès depuis le 2 février, la compagnie ne veut entendre qu’un son de cloche.
Air France aime à choyer les gratte-papiers. Et avec l’ouverture du procès du crash du Concorde le 2 février, la compagnie aérienne constate que les plumitifs ne sont pas ingrats. Peu de contre-enquêtes ont vu le jour depuis l’accident. En novembre dernier, le Figaro Magazine a renoncé, sous d’étranges motifs, à la publication d’un papier très critique sur la sécurité des vols de la compagnie. Le très républicain Marianne avait lui aussi tergiversé tout l’été, puis renoncé. Seul VSD l’a publié et même mis en « une » dans son numéro du 2 décembre. Et à mesure que la date de l’audience a approché, le maillage des médias par la compagnie s’est resserré. Gare aux malandrins qui oseraient critiquer la thèse officielle – une lamelle métallique présente sur le tarmac aurait fait exploser un pneu, entraînant le crash du supersonique.
La scène se passe au Musée de l’Air et de l’Espace, situé à proximité de l’aéroport du Bourget (93), le 2 février 2010. L’auteur de ces lignes, qui a rédigé dans un livre sorti en 2007 une contre-enquête remettant en cause la version tamponnée Air France, est interviewé par CNN International. Le décor a été choisi par la chaîne américaine. Dans le hangar du musée se trouvent deux Concorde. Un « comité d’accueil » composé de deux cadres de l’aviation employés par le Musée s’enquiert de ce qui va être dit. La discussion s’engage. « Air France ne vous laissera pas dire cela, vous ne vous rendez pas compte », lâche l’un deux. Intimidation ?
En tout cas, une belle illustration de la peur que suscite la société. Appelée à la rescousse, la directrice de la communication débarque, très embêtée, à la fin de l’interview : « Je ne peux pas vous laisser diffuser ces images, vous ne pouvez pas remettre en cause la version officielle avec en fond d ’ écran le Concorde qui nous est prêté par Air France. La compagnie ne va pas être d’accord » . Et la fidèle employée d’appeler sur tous les postes le directeur du musée, Gérard Feldzer, un ancien commandant de bord de la compagnie tricolore qui parcourt les plateaux télévisés à longueur d’années, avec ses petites maquettes d’avions.
Feldzer excelle dans la capacité à expliquer entre les lignes qu’Air France a toujours fait ce qu’il fallait pour la sécurité de ses passagers, que Jean-Cyril Spinetta a été un patron très humain. Question fayotage, on peut difficilement faire mieux. Sauf à C dans l’air, le 3 février dernier : l’émission de France 5 n’avait pas jugé opportun de convier des intervenants en désaccord avec la version officielle…
Apparemment, l’équipe de l’émission était trop occupée pour répondre à nos questions sur le sujet. « Je veux bien qu’il y ait des investigations de journalistes et d’experts ou de soi-disant experts, et qu’on découvre maintenant des choses qu’on ne connaissait pas avant, mais moi, personnellement, je n’y crois pas », a glissé Gérard Feldzer au cours du même programme. Avec dans sa roue Michel Polacco, spécialiste ès aviation de France Inter : « la théorie développée par Continental [le Concorde était en feu avant la lamelle, ndlr] ne repose que sur des aberrations ».
Oubliés la surcharge au décollage, la marche sur la piste, le témoignage des pompiers… Comme en écho, la chronique de Pierre Sparaco, un « journaliste » membre de l’Académie de l’air et de l’espace, une organisation lobbyiste en partie financée par Airbus et Air France, expliquait sur son site d’actualités Aeromorning l’inutilité du procès… Comme le dit la réclame, « le ciel est le plus bel endroit de la terre ». Pourquoi vouloir y mettre des nuages judiciaires ?
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