L’Afrique, la repentance, Mai 68… Suite de l’histoire, version Sarkozy, critiquée par des historiens dans un livre à paraître le 18 avril. Non content de s’attaquer à des figures de l’histoire de France pour construire son roman national et offrir à tous un Panthéon remodelé par ses soins, la président français a aussi, bien souvent, appelé à lui des thèmes et des événements fondateurs de l’histoire de France.
A la lumière de l’analyse des historiens, auteurs du livre « Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France » publié ce vendredi aux Editions Agone, Bakchich vous propose de revenir sur l’Afrique, la repentance, et, puisque nous aimons, nous aussi, les anniversaires, à Mai 68. Nouveaux extraits de l’ouvrage.
(…) « Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle est devenue un mythe que chacun reconstruit pour les besoins de sa cause. » (Dakar, 26.07.07) La formule sonne comme un aveu, et, à l’université, les étudiants sénégalais triés sur le volet ne devaient plus savoir s’ils assistaient à un discours présidentiel, à une leçon d’histoire, ou s’ils subissaient un voyage dans le temps. « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire (…) . »
Nicolas Sarkozy attribue donc, dans l’une des plus importantes universités africaines, un « zéro de température historique » (Marshall Sahlins) au continent africain. Même si le mépris et la méconnaissance de l’Afrique sont camouflés derrière un semblant d’admiration pour cette terre spiritueuse et magique : terre « mystérieuse » (5 fois) ; terre de « sagesse ancestrale », « âme africaine » (9 fois) ; « homme noir » (5 fois)… Autant de poncifs recouvrant l’Afrique d’un voile mythologique et poétique qui, en l’essentialisant, lui confisquent toute complexité, modernité et capacité autonome d’action. (…)
Tous ses stéréotypes aux relents racistes et archaïques témoignent d’une posture ethnocentrique et paternaliste qui permet au président de réactualiser la mission civilisatrice d’une ancienne métropole : « Cette Renaissance, je suis venu vous la proposer pour que nous l’accomplissions ensemble, parce que de la Renaissance de l’Afrique dépend pour une large part la Renaissance de l’Europe et la Renaissance du monde. »
Mais le procédé est aussi subtil car il pose le cadre d’intelligibilité du passé colonial français en Afrique, sur lequel Nicolas Sarkozy sait qu’il doit se prononcer. Ainsi, afin de se mouler dans la prétendue matrice mystique de l’Afrique, la colonisation est présentée comme un pêché originel : « La colonisation fut une grande faute mais de cette grande faute est né l’embryon d’une destinée commune. » Au final, la leçon (morale) de l’histoire est assez limpide : l’entrée dans la civilisation vaut bien quelques souffrances…De la modernité, tu accoucheras, dans la douleur. (…)
Le candidat Sarkozy s’est présenté dans ses discours de campagne sous les traits de l’impénitent. Le refus de la « repentance » a même été l’un des arguments les plus martelés, puisque pas moins de vingt-sept discours y ont fait référence.
Que fait Nicolas Sarkozy lorsqu’il dit ne pas vouloir expier les « fautes » passées et s’adresse à ceux sur les épaules desquels le poids de l’histoire ne pèse pas ? Il se dote d’une conception de « la France » caractérisée par la fierté nationale, réaffirme le pouvoir de l’autorité politique de déterminer quelles versions de l’histoire doivent être non seulement enseignées mais apprises par tous ; il affermit son emprise sur une clientèle partagée avec l’extrême droite et nourrit la séduction qu’il exerce sur un public plus large. (…)
Mais dans les discours de campagne de Nicolas Sarkozy, ce sont les historiens qui sont donnés pour auteurs d’une « falsification de l’histoire », accusés de « révisionnisme historique » et même d’occultation et d’oubli du passé…(…) Après Jean-Marie Le Pen, qui dénonçait lui aussi « la culpabilisation collective de Français pour des crimes qu’ils n’avaient pas commis » (20.02.07), y associant relativisme soixante-huitard et laxisme face aux délinquants, le discours de Nicolas Sarkozy sur la repentance lui a permis de proposer une relecture conservatrice de l’histoire tout en affirmant une rupture avec les mœurs « intellectualistes » et « immobilistes » de la classe politique. (…)
En refusant l’expiation, Nicolas Sarkozy voudrait réconcilier, puisque « le temps est venu non de l’oubli, mais du pardon » (Toulon, 07.02.07) ; et qu’il veut « être le président de la réconciliation » (19.02.07). (…) La réhabilitation volontariste de la politique va de pair, curieusement, avec sa dénégation, et l’occultation de son caractère conflictuel.
« Mai 1968 est passé par là. A bas l’autorité. C’est cela le programme de Mai 1968 : (…) l’obéissance de l’enfant à ses parents, c’est fini ; le pouvoir de la police, c’est fini ; la politesse, la courtoisie, le respect des valeurs, c’est fini. (…) Je veux en finir avec l’héritage de Mai 68. » (Metz, 17.04.07)
Avec ce type de discours, Nicolas Sarkozy se fixe un objectif tout à fait clair. Pour mobiliser l’électorat de droite, désormais élargi à l’extrême droite, autour de la hantise du désordre, de la « chienlit » - pour reprendre l’expression chère à de Gaulle -, rien ne vaut le rappel d’un ennemi, le « soixante-huitard », d’autant plus menaçant qu’il serait culturellement hégémonique. Plus conjoncturellement, il s’agit d’effacer les traces de deux grands traumatismes récents : le mouvement de l’hiver 1995 puis la dissolution ratée de 1997 ; de restaurer l’autorité défaite. Pour cela, Sarkozy peut puiser dans la mémoire largement tronquée d’un mouvement éminemment politique, bien davantage encore que culturel, moral ou spirituel. (…)
« Mai 68 », avec la mise en mouvement de millions d’acteurs, une prise de parole généralisée, une dynamique de relations sociales rétive à toute délégation, une menace pour le pouvoir et les hiérarchies constitue donc l’anti-modèle exact d’une « révolution conservatrice ». (…)
« Effacer l’héritage de 68 » n’est donc pas seulement conjurer le spectre d’un mouvement social si puissant qu’il en vienne à menacer directement les pouvoirs, c’est aussi éradiquer les moyens intellectuels de les remettre en question. L’ « esprit de 1968 » est dangereux car il met en péril la politique spectacle en dévoilant la vacuité du pouvoir tout en donnant des armes aux citoyens contre le grand sommeil de l’assujettissement au système libéral.
©Agone, avril 2008
Lire ou relire dans Bakchich :
Comment Sarko (ré)écrit l’histoire (Premiers extraits des bonnes feuilles)
"L’ « esprit de 1968 » est dangereux car il met en péril la politique spectacle en dévoilant la vacuité du pouvoir tout en donnant des armes aux citoyens contre le grand sommeil de l’assujettissement au système libéral."
On peut se demander si, au contraire, ce n’est pas la vacuité du pouvoir révélée par la politique -spectacle, people et bling-bling, qui fait naître et renforce l’esprit de 68.
"les historiens en question sont probablement très dépités du KO de Ségolène" : ça commence pas mal non plus, et ça signe la réponse. Oser critiquer le Grand Gagnant, c’est être ségoléniste ( ?), eh oui, ça faisait longtemps.
"ce que fait Sarko et ses "nègres" mon Dieu, c’est ni plus ni moins ce que font les autres". Permettez ! Jamais ça n’avait été fait de façon aussi grossière, aussi démagogique, aussi paternaliste et réactionnaire - ou alors il faut englober dans votre historique Poujade et Pétain ! Vous semblez oublier que vous êtes ici dans La Rupture revendiquée (Concept très commode pour camoufler son inculture et son incompétence). N’est-ce pas pour cela que vous avez choisi l’Homme Providentiel ?
"Quant au discours de Dakar, est-il vraiment si scandaleux ? " Vous poser la question ? Ce discours n’est que l’illustration du populisme inculte de son auteur, bouillie de café du commerce. Ce qui est scandaleux, c’est qu’un président de la république - aussi petit soit-il (je ne parle pas de sa taille) - ose le prononcer.
Une réfutation en trois points, ça me gratouille d’y répondre… Je plaisante !
Or donc, au jour, d’aujourd’hui, critiquer le petit Timonier serait un acte de bravoure, il me semble que c’est un sport très commun, tout autant que Sarko lui-même. Est-ce- que cela signe une réponse ? Non bien sûr ! à moins d’avoir l’esprit partisan. Et ces "historiens" utilisent leurs qualités à ce titre.
2) Grossier et démagogique : j’aimerais connaître un homme de pouvoir qui ne le soit pas. Paternaliste et réactionnaire semble être devenu une redondance de nos jours, tous les paternalistes ne sont pas des réactionnaires et les réactionnaires ne sont pas forcément paternalistes. Quant à Poujade et Pétain pourquoi les exclurent, ils font, que cela plaise ou non, parti du paysage. La rupture revendiquée existe même, si c’est celle du bon goût, mais dégoût et des couleurs… "Homme providentiel… et la femme est l’avenir de l’homme " Ben voyons ! Allons ! secouez-vous les puces (chips in english).
3) Encore une fois le populisme est forcément, férocement inculte du " bon sauvage" si tendrement chéri par nos zélés Rousseauistes (et ce n’est pas une allusion à Cöhn-Bendit).
L’ONU est elle une organisation ségoléniste ??? Non je te pose la question Jack car cette noble institution a fait figurer dans son rapport sur la montée des Racismes dans le monde le Discours de Dakar de notre cher Président. (A noter également la présence de Sevran pour ses idées réductrices sur la démographie africaine)
On pourrait se demander d’ailleurs pourquoi ce rapport a eu si peu d’écho au pays des droits de l’homme
Sarko récupère l’histoire, soit. Il est intéressant de voir aussi comment l’histoire récupère Sarko : Napoléon 1er, Napoléon III, Louis XIV, Dracula, Mussolini… sont les plus cités. Mais après tout, pourquoi pas Louis X le Hutin, Néron etc.
Utiliser l’histoire c’est se donner l’illusion de la maîtriser.