C’est toujours la même chanson

Les chanteurs du bon vieux temps, comme le regretté Jean Ferrat, sont, pour l’industrie du disque, l’équivalent du Téléthon (cette généreuse stupidité sur écran plat qui énerve Pierre Bergé, notre cosaque du don) : une sorte de vache à lait. Les entreprises durables, comme celle des Enfoirés, sont aussi un joli soutien économique. Le dernier opus de ces choristes associés s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires. Eh oui, la survie de la musique enregistrée est entre les mains des vieux, même si le jeune Renan Luce a écoulé plus de 800 000 copies de son Repenti.

Les maisons de disques tiennent-elles vraiment comme une dent sur une vieille racine ? Pour en avoir le coeur net, je propose à Christophe, responsable dans une major, de nous livrer les secrets de son business, à la terrasse d’un café sous un soleil plein de vitamine D.

– Dans l’industrie de la musique, comme pour le cinéma, on nous apprend une règle élémentaire, celle des 80/20 : 20% des artistes d’un label font vivre les 80 % restants. Si certains patrons, ne croyant pas cette loi, avaient cessé d’éditer des artistes après leur premier titre, quelques grands auraient été des talents inconnus. Je pense à Alain Bashung, qui entama sa carrière en 1966, pour ne connaître son premier succès qu’en 1981. Quinze années de désert… Sa maison de disques a tenu grâce à l’argent gagné avec d’autres chanteurs.

– Mais alors, le vieux CD tient-il toujours la rampe ?

– Pas du tout. Avant 2008, on attribuait un disque d’or pour 100 000 exemplaires vendus. Aujourd’hui, c’est 50 000. Contrairement au cinéma, passé du VHS au DVD puis au Blu-ray, en vingt-huit ans, le CD n’a pas bougé. Bizarre, mais dire que le disque se porte mal semble faire le jeu de l’industrie musicale puisque, pendant que coulent les larmes, le numérique est une manne financière.

– Les marchands de musique seraient des hypocrites ?

– Des sites comme Deezer ou Spotify proposent des abonnements à un catalogue regroupant des milliers d’artistes. À chaque clic, ces plateformes reversent des sous à la maison de disques. On considère qu’iTunes c’est 10% de la vente d’un musicien.

Pour Christophe, les maisons de disques ont de belles années numériques devant elles, et le développement du merchandising, où les grandes enseignes vendent de la musique avec les méthodes éprouvées pour les barils d’Ariel, doit stabiliser les ventes de CD. En plein soleil, la bière devient chaude.

– Et encore, je ne t’ai pas parlé des back catalogues, ces fonds de roulement de chanteurs morts. En cessant simplement de respirer, Jean Ferrat a vendu plus de 10 000 disques. »

C’est toujours dans les vieux pots pas pourris qu’on fait les meilleures recettes !

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