La biographie de l’auteur de Las Vegas Parano, inventeur du « nouveau journalisme » américain. Hunter S. Thompson a développé un style unique, à base de LSD et d’ultra-subjectivité.
Hunter S. Thompson, l’inventeur du « nouveau journalisme » américain, fait une pige pour Rolling Stone, magazine et icône de la contre-culture, où, pour écrire, on trempe volontiers sa plume dans une fillette de LSD. La drogue ne dérange pas Hunter, son corps est une éprouvette où il teste les produits les plus durs et nouveaux. Même dans les vapeurs, pour Thompson, le journalisme est une affaire de vie et de mort, la sienne.
Il enquête sur le décès de Ruben Salazar, un journaliste du Los Angeles Times. Les flics jurent que Ruben a été victime d’une bavure. Hunter pense qu’il a été assassiné. Pour chercher la vérité, il se met à la place du mort. Les intellos de Rolling Stone, qui, jour et nuit, roulent sur la jante, sont satisfaits des notes envoyées par Hunter sur cette enquête. Mais il faut que le gugus vienne à San Francisco pour finir son papier. Les patrons du magazine ignorent sa méthode de travail, Hunter écrit en pièces détachées des scènes qui lui passent par la peau… Ensuite aux rédacteurs en chef de construire l’histoire, la « story ».
À San Francisco, Thompson est « installé » dans la discothèque du magazine. Il a une machine, une rame de papier et un tas de tubes de drogue qui sont comme les fusains d’un peintre. Derrière la porte, on entend la musique crescendo de la machine. Charlie Perry, le moins irresponsable de la bande de Rolling Stone, pousse cette porte. Et c’est une erreur. Hunter se met à gueuler : « J’avais l’élan ! J’avais l’élan ! Je suis sur des rails graissés. Il faut que je conserve cet élan ! » Le lendemain, un autre aventurier pénètre dans la discothèque, la machine de Hunter est muette : « J’ai perdu l’élan, je n’ai pas dormi, je n’ai pas changé de vêtements, mes pieds commencent à pourrir. »
Ça peut vous sembler étonnant mais, même sans ingurgiter la chimie du « nouveau journalisme », au pire le vin rouge qui traîne dans le mini-frigo de la chambre d’hôtel, on est condamné à vivre selon la règle de saint Thompson. Quel est le devoir, comme on disait à l’école ? Tu as vécu dans le secret de ce qui est rare, à toi d’écrire pour que le lecteur lise par-dessus ton épaule. En ayant envie de pleurer, de rire ou de faire la révolution.
Hunter S. Thompson, avant d’inventer cette manière de dire selon laquelle le journaliste écrit « Je », se met en scène puisqu’il intègre le spectacle de la société. Le dingo a été en prison, puis à l’armée, qui est une autre forme de la chose précédente. Trop planant, l’aviateur est viré pour indiscipline. Il vit de boulots qui sont moins que petits mais, de son passage chez les bidasses, où il a collaboré au Command Courier, il garde l’amour de taper sur une machine. Lors de journées qui, grâce à l’acide, durent quarante-huit heures, il recopie Gatsby le Magnifique. Pour voir « ce que ça fait d’écrire aussi bien ». Il a aussi une passion pour Hemingway, pour celui qui mouille sa chemise là où il va.
À Porto Rico, il se lance dans la contrebande pour se faire du fric en trouvant un sujet d’article. Il est publié dans l’Observer, une feuille locale qui lui donne envie de s’entêter. Prochaine expérience, devenir un Hell’s Angel, un diable à moto. La randonnée fait un bouquin. Il enchaîne avec Las Vegas Parano, démontre que, dans cette ville faite de kitsch, de fric et d’âmes perdues, on peut aussi faire de la littérature. Après avoir inventé ce journalisme « total », ce turbulent tombe malade. Hunter se suicide. Son pote Johnny Depp organise les funérailles, ses cendres sont tassées dans un obus, puis tirées par un canon.
En France, cette façon de faire du journalisme « à la vie à la mort » a été phagocytée par la bande d’Actuel. Qui, au prétexte que la coke remplissait les encriers, a cru que le monde lui appartenait. Hélas, le plus souvent, on avait droit à d’interminables histoires bidonnées. Après avoir été le nègre de Kouchner, Patrick Rambaud, ex-pape d’Actuel, écrit aujourd’hui des sagas sur Sarkozy, et personne ne nous a fait savoir qu’au jour de sa mort il entendait monter au ciel grâce au fût d’un canon.