Sauterie savoyarde au Sénat

Joli coup de pub pour la fonderie Paccard ! L’entreprise annécienne était au cœur des festivités, ces 9 et 10 juin, lors de la garden party organisée dans les jardins du Sénat. Sa mission : couler en public la cloche officielle du 150e anniversaire du rattachement de Nice et de la Savoie à la France.

Certes, l’événement s’est déroulé dans la plus pure tradition des fêtes républicaines, avec moult fanfares militaires et groupes folkloriques… Pourtant, le symbole avait de quoi faire grincer quelques dents laïques. Il s’agissait tout de même de fondre (en grande pompe !) une cloche d’église dans un haut-lieu de la République ! Emile Combes, instigateur de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en 1905 et qui fut aussi sénateur, a dû se retourner dans sa tombe.

D’autant que le modèle choisi était loin d’être neutre : il s’agissait d’une réplique, au 1/16e, de « La Savoyarde », la plus grosse cloche de France, qui domine Paris depuis 1895 à l’intérieur de la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. Rappelons que ce bâtiment fut édifié en 1875 grâce à une souscription nationale, dans une volonté d’expier les massacres perpétrés lors de la Commune de Paris, quatre ans plus tôt.

Photo Hyacinthe Christollet

Mais de ces considérations historiques, la (petite) foule assemblée, composée en bonne partie de touristes de passage, n’avait cure. Elle assistait béate au ballet des limousines qui amenaient jusqu’au cœur du jardin du Luxembourg la crème des serviteurs de l’Etat. Parmi eux, les présidents des deux chambres, Gérard Larcher pour le Sénat et le haut-savoyard Bernard Accoyer pour l’Assemblée Nationale. Côté niçois, on notait la présence de Christian Estrosi, sourire Ultra-Brite de circonstance et qui posait de bonne grâce pour les photographes aux côtés de l’inénarrable groupe folklorique « Nissa la belle ». N’oublions pas ceux qui finançaient l’événement : le président du Conseil Général de la Haute-Savoie, Christian Monteil, ainsi que son homologue pour la Savoie, l’ancien ministre Hervé Gaymard qui a quitté son 600 m2 parisien pour son Bourg-Saint-Maurice natal.

Bientôt la fusion ?

Gaymard et Monteil se connaissent bien. Ils travaillent depuis plusieurs années ensemble au sein d’une structure expérimentale : l’Assemblée des pays de Savoie. Cet établissement public a été créé en 2001, dans l’optique d’une coopération accrue entre les deux départements dans des domaines aussi variés que le tourisme, l’environnement, la culture et le patrimoine, l’agriculture….

Cette Assemblée est aussi une réponse institutionnelle à la montée en puissance, au cours des dernières années, de différents mouvements autonomistes ou régionalistes. Citons le Mouvement Région Savoie, aujourd’hui lié à Europe Ecologie, qui milite depuis 1972 pour une région regroupant les deux départements (qui quitteraient alors Rhône-Alpes), ou encore les indépendantistes de la Ligue Savoisienne, aujourd’hui en perte de vitesse mais qui eurent un élu au Conseil Régional Rhône-Alpes en 1998. Tous revendiquent l’unité culturelle de la Savoie, séparée artificiellement en deux départements lors de l’annexion en 1860.

Vain combat de doux rêveurs isolés face à la toute-puissance de la France jacobine ? Que nenni ! Ces arguments sont aujourd’hui en bonne partie repris par les élus locaux, ultra-majoritairement membres de l’UMP.

Hervé Gaymard déclarait récemment dans le mensuel L’Essentiel des Pays de Savoie : "J’ai toujours été un ardent militant de l’unité savoyarde, car elle me semble aller de soi. (…) Mais aujourd’hui, il faut aller plus loin. (…) Je suis très favorable et je consacrerai toute mon énergie à la création d’un Conseil des Pays de Savoie, qui unifierait les deux Conseils Généraux, avec au surplus toutes ou partie des compétences exercées aujourd’hui par le conseil régional."

Le contexte est favorable, avec les recommandations du Comité « Balladur  » pour la réforme des collectivités locales, qui entend «  favoriser les regroupements volontaires de départements  ». Et dans les coulisses de la garden party du Sénat, les élus savoyards évoquaient ouvertement la possibilité d’une fusion Savoie / Haute-Savoie dès la fin de cette année 2010. La forme précise de cette nouvelle collectivité reste encore toutefois à définir.

Qu’on ne soit pas dupe cependant. Ces nouveaux hérauts du pansavoyardisme ont sans doute des motivations cachées. En effet, le paysage politique des deux Savoie est en train de changer progressivement. En 20 ans, la population des deux départements a doublé. Ces nouveaux habitants, attirés par le cadre de vie et une situation de l’emploi un peu plus favorable que dans le reste de la France, n’ont pas forcément les mêmes caractéristiques que l’électorat savoyard traditionnel. Bref, ils peuvent être tentés de voter à gauche !

Si le département de la Haute-Savoie reste encore très majoritairement une terre UMP (5 députés sur 5, 32 conseillers généraux sur 34), la Savoie se tourne progressivement vers le rose ou le vert (la gauche était en tête aux dernières régionales et européennes).

Une fusion des deux départements permettrait, grâce au poids démographique de la Haute-Savoie (706 000 habitants en 2007 contre 405 000 pour la Savoie), de conserver pour plusieurs générations une majorité à l’UMP et apparentés. En militant pour une Savoie unie, Hervé Gaymard cherche aussi à garder sa place !

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