Mentionné d’une manière qui ne lui convient guère dans un livre (Les sorciers blancs) que Bakchich a, par ailleurs, lu avec grand intérêt, notre chroniqueur livre ici une réponse plus qu’acidulée à son auteur Vincent Hugeux
Avec le titre Les sorciers blancs, un ouvrage aux chapitres parfois utiles et ravageurs sort ces jours-ci chez Fayard sous votre signature. Il attaque les escrocs européens à l’œuvre un peu partout dans la prétendue « communication », sur le continent noir, avec désormais à leurs trousses une concurrence américaine. Curieusement, j’y apparais aux pages 138-139 de votre livre. Au titre très subalterne de comparse, tout au plus « digne de figurer dans le manuel du parfait thuriféraire. » Du pas grand-chose par rapport aux charlatants millionnaires comme Jean-Luc Mano, Jacques Attali et quelques autres. Mais enfin, j’y suis. Pour moi, c’est étonnant.
N’importe quel flagorneur porte une responsabilité directe dans l’immense dégradation africaine en train de s’étendre sous nos yeux. L’encens qu’il a répandu ou propage encore brouilla les consciences et prépara l’installation des canailles. Si comme je l’espère vous l’entendez ainsi, il ne reste plus qu’aux lecteurs qu’à examiner ma réponse. Ensuite, chacun tranchera selon sa raison.
En tout et pour tout, vous citez onze lignes d’un portrait de Bongo paru dans Jeune Afrique en juillet 1977. Et encore, uniquement la description d’un homme dans l’intimité, parmi ses proches, sans aucune mise en perspective politique. Peut-être l’attribuerez-vous à l’inexplicable arrêt d’un thuriféraire en panne. Grave erreur. Même avec trente ans de recul, mon portrait du Président insite uniquement sur son « affabilité pleine de gentillesse, de prévenance », sur son « charme subtil », « un sûr instinct » des formules drôles. Peut-être le vouliez-vous imbécile. Dès notre première rencontre, il me frappa d’abord par son intelligence rapide, un don très rare d’aller à l’essentiel, un esprit souple, concret, comme il s’en rencontre fort peu dans toute une existence. Dois-je évoquer aussi une puissance de travail suffisante pour approfondir des heures entières des dossiers complexes, plume à la main, sans le secours de personne ?
Depuis mes débuts dans les milieux parlementaires et littéraires parisiens en 1949, je n’avais certes pas réservé mon temps à la fréquentation des seuls imbéciles. Encore qu’il faille toujours en rencontrer quelques-uns pour s’instruire. Malgré une formation bien avancée en 1977, cet interlocuteur-là m’époustoufla par ses ressources cérébrales. Après le long, le pénible crépuscule de son prédécesseur Léon Mba – un brave type dans ses débuts auquel j’eus l’honneur de serrer la main quelques fois – Bongo apportait avec lui la jeunesse. Il ouvrit les prisons en grand, libéra tous les détenus politiques au nom d’une réconciliation généreuse avec des mots dignes d’un Président patriote. Si quelqu’un paraissait mériter son pouvoir, ce fut lui.
Vous connaissez la formule des Mémoires de Guerre du général de Gaulle sur Pétain : « la vieillesse est un naufrage. » Pour certains caractères, le pouvoir aussi, justement. Ni vous ni moi ne connaissons quels effets exercent sur l’équilibre mental le spectacle destructeur de voir chaque jour autour de soir l’espèce humaine réduite à l’obéissance avec tous les calculs de la flatterie, des ambitions serviles. Sans remonter loin au delà du Suétone, des Douze Césars, combien de règnes ouverts dans la confiance, le bonheur comme celui de Tibère s’achevèrent misérablement ? Un jour lointain où je demandais à Bongo quelle place tenait la postérité dans ses réflexions, il haussa les épaules.
Je ne l’ai plus jamais revu depuis 1995. À vos yeux, peut-être une paille. Les torts qu’il s’inflige désormais à lui-même comme des souvenirs plus aimables me dispensent d’alourdir des réquisitoires pareils au vôtre. Ils se suffisent à eux-mêmes. Le système en place à Libreville entretient désormais un dangereux condensé de pestilences. Je le regarde d’un œil clinique. Pas un détail de ses convulsions ne m’échappe. J’attends bien entendu la dernière.
Comme vous l’imaginerez peut-être, mon texte vieux de trente ans m’était entièrement sorti de la tête. S’il fallait le reprendre comme un témoignage d’époque, j’en confirmerais tous les termes, sauf sur l’amitié. Je ne vois pas très bien quand même à quels principes obéit votre façon de soumettre une paragraphe de 1977 comme écrit d’hier, à des lecteurs de 2007, comme si rien ne s’était passé depuis. Entre trente ans un homme change.
Retenir onze lignes, seulement onze, parmi les milliers de pages qu’il m’arriva de noircir en quarante ans d’africaniste semble tout autant un exercice sans beaucoup de scrupules quand j’ai consacré tant d’efforts à combattre les idées fausses et les intérêts douteux.
Pour une raison dont la cause m’échappe, vous avouez y avoir pris « un trouble plaisir ». Quelle étrange confession ? À quels sentiments intimes obéit-elle ? J’ignorais encore votre existence la semaine dernière. Puis vous promettez aussi au lecteur « quelques passages » compromettants pour moi, avant de n’en produire qu’un seul hors du contexte historique. Voilà bien des maladresses pour un redresseur de torts.
« Trois décennies plus tard, le même Comte gratifie l’hebdomadaire Bakchich de portraits acidulés » ajoutez-vous pour conclure. « Acidulés » comme les bonbons du même genre, peut-être ? Nos lecteurs les jugent plutôt intransigeants, féroces, voire énergiques. Mais vos difficultés personnelles avec la syntaxe expliquent peut-être cette nouvelle confusion. En quatrième de couverture de votre ouvrage, vous affirmez ou laissez dire qu’il « ébauche en filigrane l’acte de décès d’un lien archaïque entre la France et les potentats » , etc.
Le « décès d’un lien », Hugeux ! Selon l’ordinaire, un objet de cette sorte se coupe, se romp, se tranche, s’use ou s’effiloche, mais il ne « décède » pas comme de Gaulle à Colombey ou un SDF près du canal Saint-Martin. Une écriture efficace réclame des soins plus attentifs. La vôtre à mon égard m’en semble bien dépourvue. En réponse, voici donc la mienne, conçue comme un breuvage toxique entre le vitriol et ce bon vieux gros bouillon de onze heures venu de nos recettes paysannes. À la vôtre ! ou, comme cela se dit encore dans le peuple, « à la tienne, Étienne ! »
Cher Monsieur Comte je lis avec plaisir toutes les Chroniques auquelles vous prenez part , pourquoi ? tout simplement a cause du fait que vous êtes un connaisseur de cette Afrique auquelle nous avons grand Coeur a appartenir, Vous en tant que Connaisseur et tres grand Amoureux , le terme Africaniste vous allant a ravir et il n’est pas volé de votre part. Moi plus simplement en tant que ressortissant franco gabonais , ne l’ayant pas demandé mais fils d’un homme ayant aimé ce Continent et ayant de par cela même aimé une personne de ce continent , ce qui fit de moi a ma naissance en 1950 un gabono-français . Vous voyez donc que chacun d’entre nous a sa manière nous aimons ce continent et ses magnifiques nations Africaines. Quelques lignes de votre propos me vont directement au coeur , car en parlant de Léon Mba , vous me faites le plaisir du rappel de mémoire , car entre Léon Mba (aimant a être respecté , mais respectant les autres) et un Omar (irrespectueux de nature , et voulant passer pour le celui qui connait tout) Il y a assurement pas photo. Quand je pense avoir passé a cause de cet homme 8 années de ma vie dans les geoles de gros bouquet , et d’avoir connu tous les Grands et Fiers gabonais que sous son ordre on envoyait a "Sans famille" je n’aime pas beaucoup ce Monsieur d’ailleurs envers qui je sui en train d’initier une plainte pour "Crimes contre l’Humanité" le mot étant a la mode depuis la mise en place du Conseil des droits de l’Homme par l’ONU en 2006 ,J’espère que Dieu (le vrai) lui donnera la santé suffisante pour répondre de ces crimes (ou même de ses crimes)et délits devant les juridictions compétentes a l’entendre. Mais ceci dit , Vous connaissez tellement mieux l’Afrique que Monsieur l’écrivain parlant des "Sorciers blancs" que je préfère encore mieux vous lire Vous, votre prose est plus facile à comprendre, quand on connait les différents "carrefours d’Afrique" on sait que l’on est dans la vraie connaissance. Merci monsieur Comte pour votre savoir , et votre façon de nous le faire partager.
Paul Okili- Boyer