Chaque semaine, Jacques Gaillard plonge dans son dico perso et taille un short aux mots à la mode.
Entre Martigues et Menton, pas de vraies vacances sans soirée à la pizzeria, avec du rosé glacé sur la table. Normal : la pizza vient de Marseille, comme le pastaga. Eh oui, juste après la guerre, il n’y avait que cinq ou six pizzerias en France. Et toutes à Marseille, où les immigrés d’Italie du Sud se sentaient bien depuis des lustres.
Cette pizza des origines était déclinée sous trois garnitures, et pas une de plus : anchois, fromage (gruyère) et moitié-moitié (anchois-fromage, quoi). Comme elle faisait bien 40 centimètres de diamètre, on la découpait sur la table. Rien à voir avec le monstre « estouffe-chrétien » à la taille de ton assiette, croisement de la Chicago style pizza, épaisse de deux doigts et couverte de machins bizarres comme les marshmallows ou le pepperoni (qui n’a plus rien à voir avec les poivrons : c’est, chez Obama, un salami en tranches), et de la pizza des boulangers, en pâte à pain, découpée en rectangles pour le casse-croûte. Non, la pizza marseillaise, ça se partage ; ça embaume l’origan (et pas le thym), ça porte des olives noires (et pas des câpres ou des pignons), c’est fin comme un soupir, croustillant comme un baiser, et ça « endure » quelques gouttes d’huile pimentée, que l’on appelle ici le « faï trica » en lui supposant les vertus du Viagra…
Tout changea dès la fin des années 50, à la suite du succès de quelques maisons fameuses, rue d’Aubagne, rue du Musée ou rue Caisserie, chez Antoine, Jeannot ou Angèle. Des pizzerias populaires surgirent dans tous les quartiers de Marseille, avec leurs fours en brique chauffés au bois de pin et de chêne, d’où le pizzaïolo sortait une pelletée de braises pour griller des côtelettes d’agneau ou du figatelli.
Le jambon, l’envahissante mozzarella issue de mamelles discutables, les supions, les « fruits de mer » (en boîte) compliquèrent la garniture. Puis vinrent les champignons, de Paris comme par hasard, porte ouverte au n’importe quoi sur des pizzas devenues portions – triomphe mercantile de l’individualisme. Des poivrons qui « reprochent », de la viande hachée « à l’arménienne » ( ?), des oeufs, des bouts de saucisse… Rideau, fin d’un monde.
Aujourd’hui, sur la côte, on trouve des pizzas aux lardons fumés, à la crème fraîche, à la roquette, au thon et au reblochon. À quand le hareng et le petit-suisse ? Un conseil : ne commandez jamais une pizza dans une pizzeria si vous ne voyez pas le four de votre place. À moins que vous ne soyez amateur de surgelés…
C’est l’été de Bakchich Hebdo !
Feuilletez et achetez Bakchich Hebdo spécial été "ils ont flingué nos plages" !