OH MY GOD !

« Dieu n’existe probablement pas » : une campagne publicitaire qui fait grand bruit le proclame dans les rues de Londres, et désormais, de Barcelone (entre autres), par des affiches apposées sur les bus – comme la fameuse réclame de Sex and the city, proclamant que Carrie Bradshaw « loves good sex and is not afraid to ask ». Evidemment, de la même manière dont les puritains s’émeuvent du libertinage new-yorkais célébrée par Carrie et ses copines, les bigots, d’abord stupéfaits par l’audace de la chose, n’ont pas tardé à monter au créneau : voici qu’en Grande-Bretagne, une association nommée Christian Voice somme les commanditaires de l’affiche de « produire une preuve de non-existence de Dieu », sous peine d’être condamnés pour publicité mensongère… Bref, c’est de plus en plus drôle, et très british. En Espagne, l’Eglise n’a, semble-t-il, pas moufté pour le moment : elle concentre ses efforts à repousser le préservatif, que le gouvernement de la gauche satanique préconise officiellement par des campagnes ad hoc ! Mais des bigots, là aussi ont lancé une contre-campagne affirmant que, oui, Dieu existe, et toc (faute de preuve, c’est une pub mensongère…) ! En Italie, on annonce pour début février, à Gênes, cette proclamation : "La mauvaise nouvelle est que Dieu n’existe pas. La bonne est qu’on n’en a pas besoin." Cette évangélie est rafraîchissante : enfin, le genre se renouvelle.

« PROBABLEMENT… »

Je ne saurais dissimuler mon ravissement. D’abord, pour cette initiative superbe d’une jeune écrivaine et journaliste, Ariane Sherine, qui collecta des fonds et fédéra des athées de tout poil pour répondre aux placards d’une société évangélique « hard » qui affirmait, toujours sur les bus, que Jésus non seulement existait, mais nous invitait à redouter les tourments de l’enfer. Le genre de leçon de morale dont il faudrait s’accommoder avec le sourire, sans lever le sourcil, parce que ce genre de prédication forcenée fait partie des moeurs dans les nations policées. Oui, jusque là, athées et agnostiques, qui sont des gens polis, avaient l’habitude de s’en foutre, du moins, dans leur immense majorité, car il se trouve toujours des militants pour répondre aux fanatiques (Dieu merci, en un sens …). Là, il faut saluer une réponse que je qualifierai volontiers de parfaite : en effet, par ce probablement, athées et agnostiques montrent leur infinie supériorité spirituelle par rapport aux croyants bornés pour qui Dieu existe certainement, et l’affirment sans laisser la moindre place à la liberté de jugement. Dans ce probablement, il y a très exactement ce que les religieux réclament toujours à leur avantage, sans même savoir ce que c’est : la tolérance.

Il est insupportable de toujours devoir abdiquer de son irréligiosité personnelle pour « respecter » les religieux. Respecter ? Mais on ne fait que cela, depuis des siècles, sous la menace de la loi dans bien des cas, car la démocratie s’est dans des dizaines de pays accommodée de l’obligation religieuse, et pas seulement là où il existe une « religion d’Etat ». En Europe même, rappelons seulement l’obstination qu’avait la Grèce à faire figurer l’appartenance à la religion orthodoxe sur les documents d’identité de ses citoyens ; en Pologne, le certificat de baptême, joujou adoré des antisémites, est encore exigé pour certains métiers qui peuvent amener à fréquenter de près des âmes (infirmières, maitresses d’école et autres). Et en France, Sarkozy n’a pas été loin de demander une législation sur le blasphème, que des esprits tordus et opportunistes avaient réclamée lors de l’affaire des caricatures de Mahomet. Pour mémoire, notre homme se croit autoriser à représenter la France et ses millions d’incroyants dans des messes au Latran, aux pieds du pape dont il est prêt à baiser la mule (pauvre bête). Et pas grand monde n’a bougé, sous cette pluie d’eau bénite. A ce niveau, la tolérance devient intolérable.

UNE INONDATION PLANETAIRE DE FANATISME

Surtout lorsque l’on considère avec quelle désinvolture on a laissé la religion hausser le ton partout dans le monde. Fallait-il faire un siècle religieux, pour complaire à ce pauvre Malraux que plus personne ne lit ? On est servis… Le monde est bouleversé par l’invasion terroriste des monothéismes, pour n’évoquer que cette forme sublime de l’intolérance (forcément, le polythéisme est plus ouvert …). Passons sur l’évident fanatisme qui a mis à la mode les mots de « fatwah », « djihad » et « chariah », qu’on ne trouvait jamais dans nos journaux il y a seulement vingt ans, et qui maintenant scandent l’actualité. Mesurons le poids politique et électoral des « religieux » intégristes en Israël dans le déclenchement des massacres et l’implantation des colonies. Pensons au frasques des créationistes qui crucifient Darwin et l’intelligence de l’autre côté de l’Atlantique, et qui désormais entendent pousser une pointe obscurantiste en Europe, voire en France. Evoquons la charmante intitiative d’une section de « banque musulmane » dans une école de commerce de Strasbourg, avec des cours de théologie entre deux analyses du marché. Et bien que le bouddhisme ne soit pas vraiment une religion, admirons les révérences au Dalaï-Lama en ses temples du Poitou, c’est-à-dire en tant que chef religieux, et non point seulement en tant que leader politique, sans se demander si la démocratie au Tibet était ou non soluble dans un état religieux. Bref, à force de « respecter », on a laissé se répandre des excès, et à force de se vouloir « tolérants », on assassine la liberté de pensée. Celle que ces campagnes publicitaire, poliment, défendent, en faisant valoir ses avantages : l’épicurisme, relisez Lucrèce, cela commence par ce grand coup de balai sur la religion, ses mensonges, ses crimes.

BEAUTES DU MONOTHEISME

D’autant plus que ces mouvements, hélas tyranniques dans bien des régions de la planète, ne correspondent absolument pas à une mutation générale des consciences : un peu partout, dans les démocraties occidentales, les églises se vident, on en fait des garages ou des boites de nuit, on les ferme parce qu’elles tombent en ruine, on va jusqu’à les raser au coeur de nos campagnes. Tous les sondages montrent que l’agnosticisme et l’athéisme ont le vent en poupe, même en Espagne où plus de 50% des jeunes disent désormais ne pas croire en Dieu, même aux Etats-Unis où, malgré la pression puritaine, le nombre des athées déclarés atteint le niveau incroyable de près de 20%… Faut-il s’en réjouir ? Ma foi, quand on pense que le catholicisme a béni le « divin » Andreotti, Franco, Salazar et les parrains de la mafia ; quand on mesure le rôle affolant que jouent les religions dans les grands conflits de la planète (qu’on n’aille pas dire que, d’un côté ou de l’autre, l’interminable massacre du Moyen-Orient n’a rien à voir avec cette haine sourde que seule la religion peut distiller pour le « mécréant » d’en face) ; quand on s’inquiète des motivations religieuses dans les accès d’antisémitisme et de racisme anti-arabe qui sévissent jusque dans les cours des collèges, et ce même si on a laissé la kippa ou le voile au vestiaire ; quand on voit ces embrigadements de jeunes pour ruminer la Bible ou le Coran en se dandinant au lieu de lire Rimbaud et de laisser leur soeur profiter du printemps ; quand on voit la polygamie plus ou moins reconnue, l’excision excusée par les habitudes culturelles, les mariages forcés lors des vacances au bled rester impunis malgré leur terrible évidence ; quand on pense à la censure d’une version revisitée de la Cène de Léonard de Vinci (une oeuvre d’art n’est pas un objet de culte !), à l’exigence d’horaires aménagés pour les prières, de menus spéciaux pour respecter les interdits alimentaires, de médecins de sexe convenable et de piscines réservées aux croyantes, bref, quand on voit tout cela, on se demande si notre société, qui est en principe laïque, est encore une société laïquement organisée. De nos trois monothéismes, l’un radote sa dangereuse haine du sexe et son amour pour Bernadette Soubirous, les deux autres, apparemment débordés, laissent leurs extrémistes (pourtant très minoritaires) embraser des communautarismes assassins. Même ce mot de laïcité fait l’objet, désormais, d’anathème : il dit seulement que la République protège également le non-croyant et le croyant. Comptez les droits spécifiques du non-croyant : de plus en plus, il n’a que celui de se taire.

Donc, Dieu n’existe probablement pas, et il faut profiter de la vie et des autobus tant qu’il y en a : un de ces quatre, une religion est capable de faire asseoir les croyants à l’avant, et les athées à l’arrière…