En quittant Reporters sans Frontières pour défendre la presse à Doha, l’ami Ménard n’avait pas prévu que ses prises de positions un brin favorables à son nouvel hôte Qatari susciteraient quelques remous.
Quand on n’a pas l’hyperactif Robert Ménard sous les yeux, on éprouve comme un vide, et la question vous monte à la tête : « Mais où est-il, que fait-il, quel peuple d’opprimés de presse est-il en train de sauver ? » Pendant le doux châtiment infligé à Gaza, le « Plomb Durci » versé fin décembre et début janvier sur les Palestiniens, on a vu Robert apparaître à Rafah, et bien entendu de façon simultanée sur tous les écrans de télé. Sortait-il d’un tunnel ? Ou seulement du tunnel médiatique auquel il s’est assigné en cessant de cornaquer Reporters Sans Frontières ? L’important est que Robert ait été là, ne chinoisons pas ce futur Nobel.
Surprise, pour la première fois de sa carrière de « lider maximo » de la presse libre, Ménard, installé en Egypte à la frontière de Gaza, a fortement critiqué et Israël et la modération des journalistes de France quant à la discrétion de leurs critiques au sujet du panel de bombes et obus de Tsahal….
Nous aurait-on changé notre maigre Robert ? Observons que son coup de gueule s’imposait puisque l’histrion est maintenant une sorte de fonctionnaire de l’émir du Qatar, celui-là même qui a suspendu en décembre ses relations diplomatiques avec Tel-Aviv.
Souvenez-vous. Après l’échec de son barnum planétaire pour obtenir que les chefs d’Etats boycottent les J.O de Pékin, le Secrétaire général de RSF a quitté brutalement le vaisseau des plumes libres, et annoncé sa délocalisation au Qatar, où il créait une sorte de SPA pour journalistes. Ceux du tiers monde environnant l’émirat, menacés dans leur vie par des démocrates pourtant aussi exemplaires que ceux d’Irak ou d’Afghanistan.
En prenant son job, pardon sa mission, dans un pays, classé par RSF en 79e position mondiale pour la liberté de la presse, Ménard annonçait qu’il ne mettait pas dans sa poche ses principes et son intransigeance. Le maître étalon du dire et de l’écrit libre déclarait alors : « J’ai toujours critiqué le Qatar et je continuerai à le faire tant que la situation de la liberté d’expression n’y sera pas satisfaisante… J’en ai d’ailleurs discuté avec Cheikha Moza (Ndlr, la très influente femme préférée de l’émir), elle s’est montrée très consciente du problème. J’espère que la création de notre centre de presse, à Doha, va engendrer des changements nécessaires. » Il faut dire que là-bas, nos confrères ne sont protégés par aucune loi, aucun code, que les syndicats ou associations sont interdits (comme les partis politiques) et que le passeport d’un journaliste est plus souvent bloqué dans un tiroir du commissariat de police que libre dans la poche du veston du reporter.
Les réformes appelées par Robert ont-elles été confiées à un Darcos qatari ? Rien ne bouge, et Ménard s’énerve, exige une modification de la Constitution « avant la fin mai ». Pour cette entreprise, déjà fort du soutien de Villepin, membre du conseil de sa SPJ (Société Protectrice des Journalistes), Robert ferait bien d’enrôler Jack Lang, s’il n’est pas retenu à Cuba où Sarkozy l’a envoyé en ambassade… Jack n’est-il pas balèze et décisif dans ce moment de solitude qui précède le vote de la Constitution ?
La bronca du Ménard a provoqué des remous. Pas dans la presse qui n’en a pas dit mot, mais dans ces palais faits de longs couloirs, entre mer et sable. La seule réplique lisible a été celle d’Ahmad Ali, le directeur du journal qatari Al-Watan. Le mal-élevé a lancé une manière de dire « Ta gueule Ménard ! » en posant des questions précises au maître des plumes qui ne sont pas serves : « Quel est le montant de ton salaire actuel ? Quelles sont les raisons qui t’ont amené à quitter RSF ? Quelle est l’origine des fonds de ton ancienne organisation ? »
A ces interrogations, aussi illégitimes que crues et basses, Robert a trouvé la réponse : « Tout cela n’est qu’une querelle de palais »…
Le pire, dans ce drame d’orient où les couteaux dorment sous les oreillers, c’est que cet Ahmad Ali est un ingrat. En 2001, alors que ce dernier était le rédacteur en chef d’Al-Watan, il a été attaqué par une bande de pas contents et laissé dans une mare de sang au pied de son stylo. Et c’est Robert qui l’a médiatiquement secouru… Quand on sait qu’un mot de soutien de Ménard vaut mieux que tous les « urgo » du monde, ce levantin est vraiment un gros fourbe.
En mai, Robert fera ce qu’il lui plait. Mais en juin ? Mystère. Une idée, s’il prenait la place de Kouchner ?
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