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Loi Gayssot / samedi 6 décembre 2008 par Enrico Porsia (amnistia.net), Didier Daeninckx
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En réponse au coup de boule de Jacques Gaillard publié hier dans Bakchich, « Pour mémoire… », Enrico Porsia et Didier Daeninckx saisissent leur plume pour défendre la loi Gayssot.

On sait que les nazis ont mis autant de méticulosité à exterminer un peuple, le peuple juif, qu’à effacer les traces du génocide : invention d’un langage masquant la réalité, destruction des chambres à gaz, broyage des os des défunts, dispersion des cendres, remodelage du paysage. La négation du crime était au cœur même du processus, et le secret dont était entourée la « solution finale » constituait ainsi une des conditions de son accomplissement. Les négationnistes d’aujourd’hui ne font que prolonger ce dispositif : nier pour mieux accomplir. Ils ont compris que le meurtre racial de masse rejette le national-socialisme en dehors des frontières humaines, et que son refoulement de la conscience est le chemin obligé pour la réhabilitation du nazisme.

David Irving a été l’un des artisans acharnés de cette entreprise de falsification : ses trente livres sur la Seconde Guerre Mondiale, dont Hitlers’ War (1977), lui ont valu le soutien d’une multitude de groupements fascistes à travers le monde. Une activité éditoriale que pourrait résumer une de ses plus fracassantes déclarations en 1991, au Canada : « Davantage de femmes sont mortes à l’arrière de la voiture d’Edward Kennedy à Chappaquiddick qu’à l’intérieur d’une chambre à gaz à Auschwitz ». Manière de dire que personne n’a été victime des chambres à gaz et donc qu’elles n’ont pas existé. Dénoncé comme négationniste dans le livre Denying Holocaust (1995), David Irving a aussitôt brandi le drapeau de la liberté d’expression, réclamant la condamnation de l’auteur de l’ouvrage, l’historienne Deborah Lipstadt. Mal lui en a pris. Une étude approfondie des écrits d’Irving a mis à jour tous ses mensonges, ses falsifications, et son procès s’est retourné contre lui, en avril 2000, avec à la clef 4 millions d’euros à débourser !

En France, les négationnistes ont privilégié le terrain de la reconnaissance universitaire, s’infiltrant dans certaines Facultés comme Lyon, Nantes, Saint-Denis ou Toulouse, gangrenant certains laboratoires du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique). Ainsi, le sociologue Serge Thion a-t-il pu pendant vingt années utiliser le matériel mis à sa disposition par l’Etat pour diffuser ses thèses, avant d’être révoqué. Plusieurs de leurs militants ont même réussi à décrocher des diplômes prestigieux sur la base de travaux d’inspiration nazie avant que les jurys ne soient désavoués.

Depuis 1990, les associations ont pu s’appuyer sur une loi, la loi Gayssot, condamnant les propos visant à nier la réalité de l’extermination raciale. Le principe sur lequel s’adosse cette loi est simple : le négationnisme ne constitue pas l’expression d’une opinion, mais c’est une violence, une attaque intolérable ciblée sur les victimes, les survivants, sur une communauté. Ce dispositif considère également que le négationnisme est une des formes modernes de l’antisémitisme, et qu’il doit être réprimé comme un abus raciste de la liberté d’expression. Dès sa promulgation, en 1990, cette loi a été combattue par l’extrême-droite. Le Front National y a immédiatement vu un obstacle à sa réhabilitation de la période de la Collaboration, à son désir de revanche sur l’Histoire. L’avenir lui a donné raison : Jean-Marie Le Pen est à ce jour la personne la plus souvent condamnée, en vertu de la loi Gayssot, pour ses multiples attentats verbaux.

Quinze ans plus tard, il est pour le moins paradoxal de voir des historiens de renom pétitionner pour demander l’abolition de la loi Gayssot et des lois de même nature concernant le génocide des Arméniens et l’esclavage. Ils le font, il faut le préciser, non pas au nom de la liberté d’expression revendiquée de manière perverse par les négateurs, mais par refus de voir s’instaurer une « histoire officielle » qui bornerait la recherche scientifique.

On peut pourtant constater qu’il n’y a jamais eu autant de publications, de colloques, de films, de débats sur cette question, et qu’aucun chercheur ne s’est vu opposer la moindre limite. Seuls les faussaires ont été frappés. Les historiens remplissent leur mission qui consiste à dire ce qui a été, à le préciser inlassablement, et cela dans la plus grande indépendance. La loi est d’une autre nature : elle prend en compte leurs travaux pour fixer les frontières de l’admissible dans une société humaine, elle réprime les atteintes à la dignité. Et cela dans un mouvement d’universalité : le génocide des juifs ne concerne pas que les juifs, le génocide des Arméniens ne concerne pas que les Arméniens, le crime contre l’humanité que représente l’esclavage ne concerne pas que les Noirs. La loi me permet de dire que rien de ce qui est humain ne m’est étranger.

Il y a près de 250 ans, le débat faisait déjà rage. Dans son Dictionnaire philosophique portatif, Voltaire écrivait, s’agissant des Juifs : « Vous ne trouverez en eux qu’un peuple ignorant et barbare qui joint la plus indigne avarice à la plus détestable superstition et la plus horrible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et les enrichissent ». Il ajoutait : « Il ne faut pourtant pas les brûler ».

Il lui fut répondu par un écrit anonyme intitulé : « Lettres de quelques Juifs portugais, allemands et polonais à Monsieur de Voltaire ». On y lit ceci : « Ce n’est pas tout que de ne pas brûler les gens : on les brûle avec la plume et ce feu est d’autant plus cruel que son effet passe aux générations futures ».

Ce feu générationnel est en effet passé de main en main, jusqu’à enflammer Auschwitz. Et si des lois tentent de l’éteindre en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en France, c’est tout simplement que nous vivons sur les lieux du crime.


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7 MESSAGES

Forum

  • Les lieux du crime
    le samedi 6 décembre 2008 à 17:51, il magnifico a dit :
    M. PORSIA peut écrire tout ce qu’il veut. Ancien terroriste italien, il devrait TOUT DE MÊME s’abstenir de la ramener. Par éthique, tout simplement.
    • Les lieux du crime
      le mercredi 18 février 2009 à 09:18
      M. PORSIA ne doit pas s’abtenir de nous informer brillament des petites affaires du pouvoir !
  • Les lieux du crime
    le samedi 6 décembre 2008 à 15:23
    Porsia, ancien terroriste, peut écrire ce qu’il veut. Il devrait seulement éviter de moraliser. Et encore moins demander des mesures répressives.
  • Les lieux du crime
    le samedi 6 décembre 2008 à 12:21, gg a dit :
    Il est faux, comme le suggèrent les auteurs de cet article, que la loi Gayssot ait été désaprouvée seulement par l’extrème-droite. Non seulement la droite parlementaire ne l’avait pas votée, mais nombre d’anti-négationistes parmi les plus prestigieux avaient pétitionné contre elle. Les historiens, globalement ont toujours désaprouvé son existence. Récemment, l’Allemagne a proposé d’en faire une loi européenne. Le Royaume-Uni s’y est opposé. Ce n’est pas qu’il ait moins fait la guerre contre les nazis que la France. Mais on y cultive une autre conception de la liberté que chez nous. Et depuis plus longtemps.
  • Les lieux du crime
    le samedi 6 décembre 2008 à 08:18, Jacques GAILLARD a dit :

    A ma connaissance, ni la pétition des historiens, ni la commission parlementaire, ni mon article ne mettent en cause la Loi Gayssot - à la différence de celles qui l’ont suivie, en généralisant la notion de négationisme à des points multiples de l’histoire, et dans des conditions contestables.

    De même, nul ne nie (forme verbale de : négationisme) que l’esclavage moderne soit un crime contre l’humanité, mais il est important que l’étude des coupables reste ouverte.

    Enfin, une chose est l’évidence de la Shoah, autre chose est l’évaluation "unilatérale" de massacres ignobles et répétitifs comme génocides, en Asie, en Afrique ou ailleurs. A rebours, on pourrait très bien considérer qu’en affamant l’Irlande, l’Anglterre a, vers 1848, commis le premier génocide de l’histoire (2 millions de morts, deux millions au moins de "transplantés" en amérique, ça ferait le poids ?)…On a peine à imaginer un texte de loi obligeant à cette interprétation ! Je dis : chiche !

    D’où la néccessité de ne pas se réfugier systématiquement sous le rempart artificiel de la loi : c’est, du reste, ce que demandent les "créationistes" lorsqu’ils veulent que la présentation de l’évolutionisme comme donnée scientifique soit proscrit.

    L’enjeu n’est donc pas une méditation sur le Mal absolu, les pulsions négationistes, voire les manoeuvres de néo-nazis somme toute très peu influents, mais une réflexion sur l’effet régressif possible des lois mémorielles.

    De toute façon, ce n’est pas la loi Gayssot qui a empêché l’antisémitisme des nazillons, skinheads et autres saccageurs de cimetières, pas plus qu’elle n’a précipité le recul de l’extrême-droite en France : méfions-nous des satisfactions illusoires du "bonheur d’interdire" !

  • Les lieux du crime
    le samedi 6 décembre 2008 à 02:05
    Porsia, c’est bien un ancien des brigades rouges ?
    • Les lieux du crime
      le samedi 6 décembre 2008 à 13:12, Xavier Monnier a dit :
      Et alors ? Cela doit empêcher d’écrire ?
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