Les interdits dans le cambouis

Histoire de l’anti-colonialisme en France de Claude Liauzu (Armand Colin) : Malgré son absence d’humour critique (on sent fort que l’auteur a milité longtemps au PCF), un fort appréciable travail faisant pointilleusement le tour de son nécessaire sujet sans occulter le moindre trucmuche gênant pour la gauche (par exemple, les tentations coloniales de la CGT et des Bourses du travail au début du XXe siècle).

Dictionnaire des livres et journaux interdits par arrêtés ministériels de 1949 à nos jours de Bernard Joubert (Cercle de la Librairie) : S’ouvrant sur une saillie spitante de Delfeil De Ton (« pour sculpter la bêtise, il suffirait de mouler un censeur »), un phénoménal relevé circonstancié de 1 213 pages d’absolument toutes les publications françaises ou « de provenance étrangère » ayant été frappées d’interdiction administrative par les cafards du Ministère de l’Intérieur. Et grâce à l’incisivité de l’écriture de Bernard Joubert et à son délectable mauvais esprit, ça se lit comme de l’Alphonse Allais ou du Benjamin Péret.

Boris Fraenkel – profession : révolutionnaire (Le Bord de l’eau, 12 allée Bastard, BP 61, F-33360 La Tresne (Bordeaux)) : L’autobiographie foutrement captivante du traducteur historique en français de Reich, Marcuse, Lukacs, Trotski, qui annonça mai 68 avec une conférence couillue quelques mois auparavant à Nanterre sur « la jeunesse et la sexualité », qui anima la fameuse revue d’extrême gauche Partisans, qui fonda l’OCI lors d’une énième scission trotskiste avant d’en être purgé dans le plus pur style stalinien. C’est ce même Fraenkel qui défraya la chronique quand Le Monde révéla qu’il avait été l’initiateur en trotskisme du pathétique Lionel Jospin.

Bush l’imposteur de James H. Hatfield (Michel Lafon) : Encore plus instructif que les multiples autres rapports sur les basses filouteries du « voyou devenu président » (condamnations pour détention de cocaïne et pour conduite en état d’ivresse ; manigances pour échapper au Vietnam ; encanaillement avec la famille Ben Laden…) avec quelques bonus fumants : comment Bush a gouverné son État au seul profit de ses riches alliés donateurs ; comment il a réussi à faire perdre beaucoup d’argent à ses sociétés successives avant que, chaque fois, des amis bienveillants les rachètent ; comment a été fabriquée de toute pièce son ascension politique en forme de hold-up sur la Maison Blanche. Après avoir été criblé de menaces, le fricasseur de ce best seller, traduit en français avec le punch qui s’imposait, a été retrouvé « suicidé » dans un motel.

Notes sur la postmodernité de Michel Maffesoli (Le Félin) : Pour faire la nique à « la rationalité dominante », le passionnant polémiste néo-nietzschéen Michel Maffesoli propose la mise en place d’une « raison sensible » éminemment ludique et dionysiaque nous amenant à une « éthique de l’instant » qui serait aussi ce que le grand écrivain Octavio Paz appelle une « exaltation des valeurs orgiastiques ».

Anthologie du vin et de l’ivresse en Islam de Malek Chebel (Seuil) : Les chansons à boire corruptrices, c’est parfois de l’authentique poésie mutine. Historien des traditions littéraires arabes et musulmanes, Malek Chebel a recueilli les meilleures d’entre celles qui ont échappé aux interdits coraniques. Et c’est grisant comme une coupe de vin Al-Khamr qui démultiplie nos frissons de jouissance. « Imite, autant qu’il dépend de toi, les libertins ; Sape les fondements de la prière et du jeûne, Ecoute la parole de vérité d’Omar Khayyam : “Enivre-toi, vole sur les grands chemins, et sois bon” ».