Quelques ouvrages historiques assez pêchus autour de castards combats pour la liberté libre. A lire, à lire, à lire, jambon à cornes !
La Guerre d’Espagne – République et révolution en Catalogne (1936-1939) de François Godicheau (Odile Jacob) : Le fort peu godiche historien toulousain Godicheau fait le point avec la clarté et la rigueur critique nécessaires sur les trois R qui orchestrèrent la guerre civile d’Espagne : la Réforme, la Révolution et la Réaction. Une distinction qui vole tout de suite en éclat puisqu’on sait qu’il y eut, en réalité, ce que le livre reflète très bien, quatre camps en présence : les partis de droite et d’extrême droite soutenus par l’église et les pioupious du Général Franco, le parti communiste aux ordres de Moscou rêvant de staliniser l’Espagne et les brigades internationales, les organisations sociales-démocrates aspirant à un capitalisme bureaucratique un peu plus glamour, et les révolutionnaires radicaux divisés eux-mêmes en deux blocs, les trotskistes du POUM visant quand même à une dictature éclairée sur le prolétariat, et les anarchistes expérimentant par la pratique dans les territoires libérés par eux la réinvention collective de la vie sans dieux ni maîtres.
La Guerre d’Espagne et ses lendemains de Bartolomé Bennassar (Perrin) : Prolonge excellement le précédant traité en esquissant une synthèse transcendante du conflit espagnol qui a été à la fois un exemplaire « lieu d’expériences utopiques » et un effrayant « laboratoire de mensonges politiques ». Mais l’auteur n’est pas seulement un balèze déchiffreur d’archives. Il s’est magné le cul pour rencontrer des acteurs des événements, des exilés, des résistants, des opposants divers au franquisme, ce qui lui permet de raconter aussi le sort des vaincus, et leur détermination à continuer le combat coûte que coûte.
Franc-tireur – Georges Mattéi, de la guerre d’Algérie à la guérilla de Jean-Luc Einaudi (Sextant & Danger public) : On devait déjà au journaliste et polémiste Jean-Luc Einaudi des ouvrages couillus sur les répressions gaullistes contre la guérilla algérienne, dont le fameux Octobre 1961, Un massacre à Paris (Fayard), et sur les saloperies du Garde des Sceaux François Mitterrand faisant guillotiner « pour l’exemple » en 1957 l’ouvrier pro-FLN Fernand Iveton. Il nous relate ici avec une fièvre contagieuse l’itinéraire de Georges Mattéi, un étonnant guérillero qui fit évader d’Allemagne des anti-nazis recherchés en les faisant passer au Portugal dans une caravane de cirque. Ses talents hors pair de passeur de frontières et puis de fabricant de faux papiers, Mattéi les exercera ensuite au profit des clandestins du FLN algérien, de l’Euskadi basque, du PRV vénézuélien de Douglas Bravo.
L’Engagement des intellectuels 1944-2004 de Jean Chesneaux (Privat) : Le bilan de 60 années d’engagement militant à l’extrême gauche de l’historien franc-tireur Jean Chesneaux que nous suivons en compagnie d’Orwell ou de Brecht au Nicaragua sandiniste, à Tijuana, à Haïti, sur les ponts de la rivière Kwaï ou dans ses combats pour le Vietcong, pour les paysans du Larzac, pour les Kanaks d’outre-mer. Mais aussi pour les gardes rouges maoïstes car Jean Chesneaux, à qui les mises en garde contre le maostycisme d’un Simon Leys hérissaient le poil, est tombé dans presque toutes les chausse-trappes idéologiques. Il n’empêche qu’il a écrit de toniques pages sur les « capacités de résistance au laminage » de Roger Knobelpiess, de Dario Fo, de Coluche et du Charlie Hebdo des années 70-75. Des causes qui n’étaient pas spécialement marxistes-léninistes orthodoxes.
Cauchemar en URSS de Boris Souvarine (Agone) : Boris Souvarine fut le plus craquant des secrétaires de la IIIe Internationale. Car il ne s’en laissa jamais conter. Et c’est donc tout naturellement pour indiscipline qu’il fut exclu du Parti marxiste en 1924. Ce qui lui donna le temps d’écrire son monumental Staline, l’une des toutes premières radiographies impitoyables du bolchevisme. Les éditions Agone ont eu la bonne idée de republier trois textes historiques qu’il bichonna juste après axés sur les procès de Moscou et la répression de masse qui se déchaîna dans leur ombre, et sur la situation poignante des classes laborieuses urbaines ou rurales pendant la terreur stalinienne. Dans une stimulante préface, Charles Jacquier réussit tout à fait à dissocier le fascisme rouge à la Lénine-Staline des vrais courants révolutionnaires ayant tenté de détsariser la Russie.
Tragicomique Amérique de Cornel West (Payot) : Le philosophe américain Cornel West propose qu’on se serve comme d’une arme du tragicomique qui est une exceptionnelle « capacité à rire et à espérer même face à la haine et à l’hypocrisie ». Et il expose avec un enthousiasme gloupitant en quoi pour lui l’actuel « mouvement altermondialiste démocratique » a quelque chose de tragicomiquement libératoire quand il s’en prend aux dogmes de l’intégrisme du marché et au militarisme agressif du gouvernement en hiphopant joyeusement. Oui, vous avez bien lu, Cornel West se fait le chantre d’un hip-hop de combat à la Public Enemy « énonçant des vérités pénibles » pour l’establishment et invitant les jeunes à se montrer « autocritiques et socratiques ».
Mai 68 et ses vies ultérieures de Kristin Ross (Complexe & Monde diplomatique) : Une mise en charpie jubilatoire des clichés sur mai 68 démontrant acerbement que le soulèvement ne contribua pas seulement à la « libération des mœurs » mais qu’il fut sans doute l’un des plus grands mouvements sociaux de l’après-Seconde guerre mondiale en Europe. On y reviendra.