Récit d’un spectacle hilarant, le procès des leaders présumés d’un « coup d’Etat à Abidjan », Ibrahim Coulibaly, Paul Leonelli et consort, raconté par notre envoyé spécial Jacques-Marie Bourget. Derrière ce conte à dormir debout, des histoires de services secrets, de boulevard Giscard et de vieilles bagarres villepino-sarkozistes.
Payer rien pour rigoler plus ? Un slogan que l’ami de Clavier pourrait faire jaillir de sa bouche d’or. La bonne adresse, le bon rendez-vous du « rire pour rien » se tient actuellement au Palais de justice de Paris, salle des Criées (au rez-de-chaussée à droite). C’est là que se joue l’hilarant spectacle : « Coup d’État à Abidjan ». Et la salle est plutôt africaine. Les journalistes blancs, tamponnés de bien pensance, ont autre chose à faire que de perdre leur temps et leur encre à décrire une affaire d’État où, pourtant, se conte, en subliminal, une jolie bagarre entre Villepin et Sarko.
Le croche-pied entre les deux amis, jugé aujourd’hui, remonte à août 2003, instant chaud où les as sans cœur de la DST déjouent, à Paris, un « complot » visant à dégommer le parfait démocrate qui règne sur la Côte d’Ivoire, le socialiste Laurent Gbagbo. Ce qui eût été une grave atteinte aux droits de l’homme.
Donc, dans la chaleur de l’été, ces flics pas comme les autres chopent d’abord à Paris Ibrahim Coulibaly, dit « IB », ancien sergent-chef de l’armée ivoirienne promu « général » du clan des « rebelles », les gens du nord. Ils attrapent aussi Mamadou Diomandé, honorable avocat du barreau de Saint Nazaire, porte-parole en France de ces « rebelles » chers à « IB ». Plus tard, on agrafe aussi Paul Leonelli, un ancien flic socialiste, ex-membre du cabinet Marchand au ministère de l’Intérieur au début des années 90. Puis encore, à Orange, une poignée d’anciens légionnaires, puisque des types comme eux sont incontournables dans la recette de notre complot.
À « IB » et consort, le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière-que-le-monde-entier-nous-envie reproche un délit de « recrutement de mercenaires », selon un texte de loi tout frais de trois mois. Le scénario du magistrat, dit « l’Amiral », est simple : « IB », son ami Diomandé, et leur « cerveau », Leonelli, s’apprêtaient à flinguer Gbagbo par le feu des légionnaires qui se sont fait piquer à Orange.
Vous suivez ? Parce qu’au Palais de justice, aujourd’hui, le président Kross, magistrat remarquable par sa caquette à double visières type Sherlock Holmes, a du mal à suivre. Donc à la DST « dormant dans la pisse », voilà une poignée de comploteurs sanguinaires. C’est leur place. Historiquement, nous sommes en pleine période de mise en place des accords de Marcoussis censés mettre un terme à la guerre civile ivoirienne. Arrêter « IB », idole des « rebelles » n’est donc pas un geste anodin. Même Bruguière peut comprendre ça.
Pour mettre un peu de béton dans un dossier aussi mou que les montres de Dali, la DST donne une preuve irréfutable : « Le 28 août, son excellence Laurent Ggagbo devait présider une cérémonie au cours de laquelle il aurait débaptisé le boulevard Giscard d’Estaing à Abidjan. Cérémonie finalement annulée. » Ici, mon âme française a mal. Débaptiser un boulevard taillé droit comme un diamant, c’est moche, et faire peu de cas de la Françafrique et des bienfaits de la colonisation. Voilà donc le motif : tuer Gbagbo parce qu’il veut tuer la mémoire de VGE ? Non, le juge n’ose pas. C’est seulement que les dossiers de justice, comme ceux des chaises, ont parfois besoin d’un coup de super glu pour tenir.
Récapitulons. Nous avons donc le général « IB », son avocat groupie, son conseiller Leonelli qui, de plus, est Corse, les gros bras et 147 000 euros sur les comptes du dit Corse ! En fait, si la DST fait la basse besogne, tâche à laquelle elle est entraînée, c’est la DGSE, autre police déontologique qui a initié l’arrestation de tous ces présumés assassins.
Depuis deux mois, elle suit les activités du collègue Leonelli. Par le truchement d’un certain Philippe Courchinoux, auvergnat de souche, Leonelli se penche sur l’avenir de la Côte d’Ivoire. Son job, dit-il, est de monter au Burkina Faso, base arrière des « rebelles », une formation permettant aux miliciens, démobilisés par les accords de paix, de recevoir une formation de vigiles… Et l’argent qui lui parvient, venant en fait des comptes de « IB », est une avance sur cette entreprise de reconversion.
Ici, le tribunal qui juge l’affaire en salle des Criées se marre. Surtout le procureur qui hoche la tête comme une institutrice chaque fois qu’un prévenu fait une réponse qui ne convient pas à sa « vision ». Et c’est souvent.
Le tribunal en chœur : « Ce Courchinoux est une invention. Un mythe ». Faut dire, quel drôle de nom pour un prête nom.
Mais le procureur sort quand même un numéro de télphone portable du dossier, celui de ce Courchinoux qui n’existe pas. Et la salle qui crie « appelez-le. Appelez-le ! »
Il est donc avéré que Courchinoux est un mythe décisif. Et Leonelli un menteur. Le soir, après avoir donc bien rigolé, rentrant chez moi, j’ai tapé Courchinoux sur Google. Et la machine de l’ogre m’a répondu « Journal Officiel du Burkina Faso. Récépissé de déclaration d’association etc, etc… » Le 27 mai 2003, ce Philippe Courchinoux qui n’existe pas a créé la « Fondation Agir Universelle », une association permettant la « formation aux métiers permettant la réinsertion des jeunes ». Ni la DGSE, ni la DST, ni le juge Bruguière n’avait imaginé une telle fourberie : être trahi par Internet.
Ce Courchinoux est donc bien vivant, mais peut-être un peu spectre. Ce pigiste de la Sofremi, société chargée de vendre des armes françaises, est peut-être un tout petit peu ami avec nos services très secrets… Résumons : avec un numéro de mobile et Internet, nos espions et juges sont incapables de trouver un mec. Tremblons pour notre sécurité.
Mais je m’égare ? Pas sur le boulevard VGE qui continue d’exister (ouf) à Abidjan. Et j’en reviens à la querelle Villepin contre Sarko (ou l’inverse) que le bon président Kroos (qui, après avoir blanchi Prouteau et sa clique dans le dossier des écoutes téléphoniques de l’Élysée, va bientôt quitter le poste de juge pour devenir procureur) s’acharne à ne pas lire dans ce dossier.
En fait, à Ouagadougou, le 11 août 2003, « IB » dépose son passeport pour obtenir un visa pour Bruxelles où vit sa famille. Quatre jours plus tard, le « général » n’a rien. Il décide de passer par la France. De 15 à 18 heures, alors que notre consulat est doublement clos, il se trouve un diplomate assez complaisant pour donner un visa Shengen à ce bon « IB ». Formidable. Un diplomate qui, sans en rendre compte ou s’en rendre compte, délivre un visa un jour de fermeture à un homme qui est au centre des accords de Marcoussis ! Ce qu’ignore notre sergent-chef-général, c’est que Nathalie Delapalme, conseillère « Afrique » de Villepin (ministre des Affaires étrangères), présente à Abidjan, sort du bureau de Gbagbo et que, fiction, Laurent aurait bien pu suggérer qu’une bonne Côte d’Ivoire est une Côte d’Ivoire sans « IB »…
Le « Général », dit aussi « le major », quitte Ouaga pour Paris où il arrive le 17 août. Il se rend à Saint Nazaire, puis à Bruxelles, puis à Saint Nazaire et enfin, revient à Paris. « IB » a la bougeotte. Jusqu’au moment où le karatéka se retrouve embastillé à la Santé, ce qui ne peut pas faire de mal. Si ce n’est Paul Leonelli, le « cerveau » de cette affaire qui en manque vraiment, et qui va rester un an en prison, les autres, « IB » en tête, sont libérés assez vite.
Mieux, tel Saint-Martin déchirant son manteau, Gbagbo retire sa plainte contre ce groupe de comploteurs…
Moralité (1) : la DGSE, la DST et Bruguière ont déposé sur le bureau du président Kross une patate bouillante. À lui de trouver des moufles ignifugées pour la saisir.
Moralité (2) : sachant que Coulibaly est un pion très important dans le jeu de Alassane Ouattara, ex vice-président du FMI et candidat des « rebelles » pour succéder à Gbagbo. Sachant que Alassane Ouattara est un ami de Sarkozy et de Bolloré, lui-même ami et transporteur de Sarkozy ; peut-on imaginer que Villepin ait tenté de faire un croche-pied à un ami de son ami Nicolas ? Le président Kross pense que non.
Morale (3) : je le répète et dites-le à la DST si vous la rencontrez : le boulevard VGE est toujours debout.