Le dernier né de Michel Gondry, le plus américain de nos réalisateurs français, est à l’affiche depuis le 5 mars. « Soyez sympa, rembobinez ! », un film génial ou presque…
L’idée de départ est formidable : dans un petit vidéo club de Paissic, New Jersey, où l’on ne trouve que des cassettes VHS, Mike et Jerry, deux pieds nickelés frappadingues, décident de saboter la centrale électrique du coin. Naturellement, l’opération capote et Jerry (Jack Black) se retrouve foudroyé. Il en sort pourtant vivant mais magnétisé. De retour dans le vidéo-club, il efface malencontreusement toutes les bandes magnétiques.
Résultat, lorsqu’une cliente (Mia Farrow, plus lunaire que jamais) vient louer S.O.S Fantômes, les deux compères décident de bricoler dare-dare et en vidéo un remake artisanal des meilleures séquences du film, avec guirlandes en guise de tentacules ectoplasmiques, bibliothécaire sénile qu’ils peinent à effrayer, tenues de cosmonautes en alu et autres trucages Z.
Contre toute attente, leur version séduit la cliente et bientôt tous les cinéphiles du quartier qui réclament d’autres remakes, des versions dites « suédées », mot absurde inventé pour l’occasion. Mike et Jerry enchaînent alors leur King Kong, 2001, Carrie, Rush Hour 2 et autres Roi Lion. Peu à peu, la petite entreprise artisanale, menacée de destruction par les autorités de la ville et d’engloutissement par la chaîne de location de DVD du coin, devient une attraction locale. Les files d’attente s’allongent, « nerds » et seniors repartagent enfin un langage commun et les tiroirs caisse de la boutique tintinnabulent comme jamais.
C’est la première heure du dernier film de Michel Gondry, ex-vedette du vidéo-clip passé à la réalisation de films poetico-arty (Eternel Sunshine of a Spotless Mind) qui séduisaient la rétine le temps de la projection mais ne l’imprimaient pas au-delà. Ici, Gondry se tourne vers l’art burlesque, du non-sens mais pas trop, du délire mais hyper-maîtrisé par une science du gag impeccable et franchement désopilante.
Avec des bouts de ficelles, Jack Black et Mos Def témoignent, comme Gondry, d’une fascination enfantine devant ce jouet rutilant qu’est le cinéma et d’une croyance absolue dans le pouvoir du médium à faire rire (toutes les séquences de « suédisation » sont hilarantes) à émouvoir, mais surtout à récréer du lien entre membres d’une même communauté. C’est la dernière séquence du film, variation réussie de la fin des Voyages de Sullivan de Preston Sturges (cinéaste génial dont l’âme hante tout le film de Gondry) : toute la communauté de Paissac communiant devant les images d’un film original consacré à la vie du jazzman Fats Waller (qui serait né dans la boutique !) et fabriqué par tous.
Film formidable, ou presque. Car il convient d’ajouter un bémol. Soyez sympas ! contient un autre récit qui suit la trajectoire du patron du vidéo-club (Danny Glover) qui, après une heure d’absence (il a confié les clés aux deux huluberlus), revient chez lui et constate la métamorphose de sa boutique vieillotte (ou résistante) en haut lieu de branchitude cool. Avec lui, Gondry change de registre et décide d’articuler la fiction burlesque, naturellement subversive, à un message politique qui la plombe, sinon l’atténue bêtement. La leçon de morale que nous livre le film reconduit, avec paresse et un brin d’opportunisme, la mythologie tenace (et fausse) d’une opposition effective entre films-coûteux-produits-par-des-majors (les blockbusters) et petits-films-d’auteurs-produits-pour-trois-fois-rien.
Entre le charme et la fantaisie des uns et la froideur robotique des autres (Sigourney Weaver, en grande prêtresse des droits d’auteurs faisant écraser les films de Mike et Jerry au rouleau compresseur), Gondry, dont le film a bénéficié d’une campagne marketing assourdissante, se prononce confortablement pour les premiers. Vielle ficelle de l’engagement qui n’engage à rien, assurance de rafler la mise à tous les coups - qui défendrait les Grands Méchants Loups contre des agneaux démunis mais si talentueux ? – le tout saupoudré d’un zeste de nostalgie (VHS versus DVD) puisque le titre peut aussi se comprendre comme à un retour en arrière : avant c’était mieux ?
Film hybride donc, qui saisit parfaitement l’air du temps porté par la génération Youtube (goût du n-ième degré, de l’amateurisme potache, du pastiche cheap, du réel comme valeur ajoutée, etc…) mais n’ose pas briser l’éternel tabou sur lequel se fonde, non seulement une large part de l’exercice critique (défendre à priori un petit film contre un gros) mais aussi de la réception du public, à qui on voudrait faire croire que la qualité d’un film est inversement proportionnelle à son budget. C’est démagogique, mais surtout, c’est faux. Pourquoi ?
Primo. Personne ne pourra nier que le tropisme naturel des majors américaines (et même françaises : voir EuropaCorp) conduit au formatage des films, à la répétition de formules à succès (mais ce constat est vieux comme Hollywood et explique précisément comment et pourquoi cette industrie s’est fondée sur les genres), à une forme d’universalisme flasque qui écrase les singularités, enfin, à des blockbusters dépliant une vision simpliste du monde et binaire de ses enjeux.
Chaque semaine en apporte la preuve. Certes, mais ce système a aussi produit parmi les meilleurs films de l’histoire du cinéma, porté ses plus grands cinéastes et encore aujourd’hui, Michael Mann, Paul Thomas Anderson, Gus Van Sant (parfois), David Fincher, James Gray ou Quentin Tarantino (pour ne citer qu’eux) travaillent au cœur de la machine. Ils travaillent contre elle me direz-vous ? Oui et non, disons plutôt qu’ils l’utilisent à leurs propres fins, qu’ils la détournent subtilement (voir Miami Vice de Mann, blockbuster expérimental), à la manière de ceux que Martin Scorsese, dans son documentaire sur le cinéma américain classique, a appelé les contrebandiers d’Hollywood. Précisément, c’est toute la puissance d’Hollywood – et son paradoxe pour nous autres européens - que d’intégrer en son sein ceux qui en produisent la critique.
Petit coup d’œil dans le rétroviseur : quel était le désir des jeunes cinéastes américains à la fin des années soixante ? Détruire la Mecque du cinéma et tourner des films loin d’elle ? Non, la prendre d’assaut, devenir Calife à la place du Calife. Le Nouvel Hollywood n’était pas la Nouvelle Vague. Ils s’appelaient Francis Ford Coppola, William Friedkin, Martin Scorsese, Robert Altman, Hal Hashby, Arthur Penn, Brian de Palma, Monte Hellman ou Sydney Pollack, et ont réalisé les films les plus libres, les plus talentueux et les critiques du cinéma américain de ces quarante dernières années.
Secundo. Personne, à moins d’être aveugle ou dogmatique, ne devrait nier qu’il existe aussi un académisme du cinéma dit « d’auteur » et que la fabrique artisanale, la faiblesse des budgets ou la liberté sans limites n’ont jamais été et jusqu’à preuve du contraire, les garants d’une qualité artistique. Combien de sous-Antonioni, de sous-Bergman, de sous-Godard et de sous-Cassavetes, qui se placent dans le contrechamp stérile du cinéma « mainstream » et inondent les festivals et parfois nos salles de cinéma ?
Une évidence : Independance Day ou Asterix ne sont pas des navets parce qu’ils ont coûté chers, mais parce que ceux qui les ont fabriqué ne possède aucun talent et à fortiori de vision singulière du monde. De la même façon, la plupart des films de John Cassavetes sont des chef-d’œuvres, non pas parce qu’ils furent produits pour quelques sous, mais parce que Cassavetes (et sa bande) est un grand cinéaste.
Autrement dit, la véritable ligne de partage ne passe pas entre films amateurs et films professionnels, entre blockbusters et films montés dans la cave de grand-mère, entre films de studios et films d’auteurs (tout cinéaste est de fait un auteur, mais est-il intéressant ?) mais entre les bons et les mauvais films. Dommage que Michel Gondry n’ai pas suivi jusqu’au bout la morale du burlesque, genre de l’irrespect par excellence, et n’ai pas osé atomiser ce cliché.
Soyez sympas, rembobinez ! de Michel Gondry
Ou avez vous vu que Gondry critiquait les super productions hollywoodiennes ? Au contraire il en fait l’apologie (exemple le dialogue sur le Roi Lion) Le film lui même est un hommage à ces grands films Ce que le film critique c’est d’une part 1) le fait de considérer que le cinéma n’est pas quelque chose de faisable par soi-même, que c’est seulement une industrie et parallèlement 2) les majors qui gardent férocement les droits d’auteur des films qu’ils possèdent (quel mot horrible) pour empêcher toute initiative non payante liée à ces films
Le film est là pour rappeler que le cinéma appartient autant à son public qu’aux producteurs qui en détiennent les droits légaux Et ça c’est un message juste, et original
Article intéressant de JP Thoret que j’écoute aussi dans l’émission "Mauvais genre" sur France culture. Vous oubliez dans votre liste les fréres coen.
Je remarque, au sujet de Gondry que son film est co-produit par Focus Features (Universal), distribué aux USA par New line cinema (warner) et distribué en France par europacorp. Alors qu’il passe son temps à critiquer les majors.
PS : A quand un article sur les filiales des grands studios qui financent en partie les films dits indépendants comme Miramax (Disney), Focus features (Universal), paramount vantage (paramount), fox searchlight (fox), Sony pictures classics… Est-ce par philanthropie ?
"Miami vice, blockbuster expérimental" ???? !!!!! "Les films les plus libres de ces quarante dernières années" ???!!!
J’ai comme le sentiment d’un certain intellocentrisme et d’un sens de la formule. Je connais les travaux plus argumentés de l’auteur sur la période des seventies US et sur M. Mann, mais ceux-ci ont du mal à me convaincre tout de même de la pertinence du caractère réellement transgressif ou critique de leurs productions. Mais ceci n’est aussi qu’un avis qui mériterait d’être développé ! Cordialement JG