Le Paris de la fin des années 70. Entre rades de Barbès, Clichy, Montmartre. Narré avec l’argot du coin, loin des titis parisiens. Et une histoire d’escroc à la petite semaine qui voit débarquer l’occasion de sa vie. Une jolie fiction d’été, un cadeau des auteurs à « Bakchich », et de « Bakchich » à ses lecteurs. Aujourd’hui, les épisodes 9 et 10.
Quand on y réfléchit, Fabio, non seulement il avait le sang impétueux du méditerranéen, mais il avait aussi la rancune tenace … Et là, après l’outrage qu’il avait pris en plein dans la susceptibilité, Fabio il allait plus rien lui passer au Loïc… Mais ça, c’est bien plus tard qu’on s’en est rendu compte. Bien plus tard…
Fabio c’était pas l’mafieux façon Cosa Nostra, ni l’trafiquant camorriste. Fabio, c’était l’vrai calabrais, issu d’une honnête famille de brigands, dont l’activité principale consistait en l’enlèvement d’personnes diverses, ayant la particularité d’être sévèrement thunées. La technique des bandits, bien que rustique, n’était pas sans présenter certaines qualités de robustesse bien utiles dans un labeur ingrat : après avoir enlevé leur cible, les arsouilles lui coupaient un doigt - l’annulaire s’il était bagué, ce qui constituait une sorte d’avance sur salaire - et l’envoyait accompagné d’une demande de rançon dûment argumentée à la famille de la victime. Dans la plupart des cas un doigt suffisait, car leur rhétorique était habile et leurs arguments puissants.
Pour autant Fabio n’avait pas suivi la voie familiale. Adolescent doté d’un tempérament ombrageux, ses premiers enlèvements s’achevaient souvent par des mains coupées au prétexte que l’enlevé lui avait fait un regard en biais. Ou un sourire ironique. La réputation du clan eût pu en pâtir, aussi Fabio, dès ses 18 ans, préféra-t-il s’exiler et se consacrer à des activités où le contact humain était moins essentiel. Il s’installa chez une tante à lui, qui habitait à l’angle de la rue d’la Réunion et d’la rue des Haies, la mère Néra, une vieille cliente du P’tit Bat’.
Fabio, ombrageux certes, mais profondément dévot, devint alors amateur d’art religieux. Enfin, revendeur surtout. On peut dire, qu’à l’époque, dans les années 70, peu d’églises de France n’eurent la visite de Fabio et de ses collaborateurs : retables, calices, statues… le goût du calabrais s’affinait de jour en jour, tandis que son larfeuille épaississait. Bientôt, après une petite dizaine d’années de carambouille, il put se consacrer pleinement à ses loisirs favoris : les femmes et les chaussures bicolores. C’est vers cette époque qu’il enfarina Josy. Pauvre agnelle…
Après l’incident de l’œuf dur sans mayo, Loïc se fit un peu plus discret au P’tit Bat’… Sans être vraiment tricard, il avait quand même perçu l’malaise, quand Josy lui avoua que, justement, c’était Fabio sa première bourre… Alors Lekervelec s’était dit, non sans quelques bonnes raisons, qu’il valait mieux qu’il prenne ses distances avec le rital. Du coup, avant de passer à mon rade, il me passait un coup d’grelot, histoire d’se rencarder sur la présence du Fabiounet.
Parce que Loïc, à part Josy, avait quand même de bonnes raisons pour continuer à fréquenter mon établissement : il s’était accointé avec les manouches du passage Dieu, dans un trafic dont je subodorais bien le filoutage, à défaut d’en appréhender la quintessence. Moi, j’l’avais prévenu : il causait de c’qu’il voulait avec qui il voulait, mais pas d’troc au troquet ! Parce que ça, c’est l’genre de truc à vous faire paumer la Licence IV, en moins de temps qu’il n’en faut à un unijambiste pour enfiler son pantalon ! Faut dire que les marlous manouches du passage Dieu, c’était pas des anges ! Ils fricotaient velu, ferraille et sucre en poudre, avec toujours des Blaise Pascal plein les fouilles et des grosses amerloques un peu pourries ; même que leurs chiottes, elles passaient pas dans l’étroitesse du passage Dieu, et qu’ils les garaient juste à côté du P’tit Bat’… Alors c’est pour dire si j’les ai connus, moi, les manouches du passage Dieu, et pas qu’un peu, que j’les ai connus !
Josy -pauvre agnelle- quand j’l’ai mise en garde contre les fréquentations à Lekervelec, c’était déjà trop tard : il l’avait intoxiqué au jus d’bite, et elle était complètement accro au bonhomme ; Loïc, elle l’avait dans la peau, elle était sa chose, qu’elle disait, et qu’importe si c’était un voyou : elle aimait se pendre à son cou.
Alors, tout ce qui s’est passé, après, le gros raffut du Van Dongen, la guerre des gangs, Fabio tranchant l’blackos, manouches rafalant l’rital et antillais dézinguant les manouches, moi j’dis qu’on aurait pu l’éviter, si Josy s’était barrée à temps. Parce que moi j’dis, et j’le répète : Lekervelec, sans Josy, c’était un pas grand chose. Et, sans les éconocroques à Josy, il aurait pas tâté du truc. Ou alors moins. Et rien ne serait arrivé. Ou alors moins fort. (à suivre…)
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