« Lavis Noir », c’est un feuilleton parisien. C’est l’histoire de Loïc et Josy, les amants du Pont d’la Butte. Y a de l’action, de la morale et du cul. Il y a surtout une formidable intrigue policière et un suspens haletant. Ce qui est bien le moins pour un feuilleton. Et c’est aussi une galerie de personnages - Miche la Gratouille, Toussaint l’Haïtien, Fabio le Calabrais…- qui vous feront vibrer tout au long de l’été.
Il existe un endroit, à la périphérie d’Montmartre, peu connu du touriste hébété ou même du parisien pressé ; cet endroit, c’est le pont que forme la rue Caulaincourt au-dessus du cimetière Montmartre, un peu comme qui dirait à l’entre fesse entre la Butte Montmartre et la Place Clichy… Ce pont avait été baptisé le pont d’la Butte, par les antillais à casquette, qui zonaient dans l’coin dans les années 70, avec toujours d’la bonne ganja du pays, et parfois, aussi, des p’tites loutes qui tapinaient dépoitraillées, mini jupe orange et cuissardes en vinyle blanc, du côté d’la rue Lepic… Ce patronyme singulier, le pont d’la Butte, figurait, en une contrepèterie puissante, la promotion sociale qui permettait à des jeunes filles plus très jeunes de passer du rang peu enviable de putains à celui de modèles nus pour artistes montmartrois sur le déclin.
C’est sur le pont d’la Butte, une fin d’après-midi d’un dimanche de novembre, bien pluvioteux et frisquounet, que Loïc embrassa Josy pour la première fois. Ils revenaient du Pathé Wepler, où elle l’avait entraîné voir Tess… Lekervelec, le romantisme pleurnichard, c’était pas trop son truc, mais il avait rien dit, vu qu’il était dans la phase un de son plan biteux, qui devait l’amener de pelotage au kinos à ramonage au plumos. Et si, sur le strict plan de l’action, Tess ne valait pas Jack Burton dans les Griffes du Mandarin, le sentimentalisme béat et le mélodrame à fleur de pelloche, lui permit de pousser son avantage assez loin, tant Josy - pauvre agnelle !- s’abandonnait à la violence de ses sentiments égarés !
Et c’est pour ça, qu’après lui avoir gentiment malaxé les avancées mammaires, et tripoté le haut des bas de bas en haut, Lekervelec ne pouvait faire moins, au sortir du cinoche, que de lui administrer un ravalement d’façade, avec intromission linguale. Ce qui fut fait, et bien fait, entre chien et loup, sur l’pont d’la Butte, au-dessus de la 19ème division et de la tombe d’Emile Zola. Alors à ceux qui viennent me dire que l’destin ça n’existe pas, moi j’réponds : faut voir.
Après lui avoir roulé la pelle de l’année, Lekervelec pris Josy par le cou, et entrepris de remonter la rue Caulaincourt jusqu’à la Custine, pour l’emmener chez Aïda, rue Polonceau, d’l’autre côté du Barbes, tout près du côté d’chez lui, où il pensait bien s’embourber Josy - pauvre agnelle - qui n’en pouvait mais.
La rue Polonceau, pour ceux qui connaîtraient pas la Capitale, c’était une des rues les plus ripoux d’la Goutte d’Or. Pour dire, à l’époque, au début des 80’s, on y trouvait d’la dope, surtout d’la mexican brown, à toutes les portes cochères, qui avaient l’avantage de donner sur des cours intérieures communicant avec les rues voisines, Richomme et Poissonniers… Loïc, squattait dans l’coin un trois pièces de 35 m², avec l’électricité branchée sur l’palier et l’gaz en bouteille. Après un méchant chiche kebab, enfilé à la hâte chez Aïda, à 19h45, ce gris dimanche de novembre, Loïc Lekervelec, ou devrais-je dire l’Infâme ? entraîna Josy dans sa bauge, où allait se commettre, sous peu, le plus épouvantable des forfaits que l’on puisse imaginer…
Lekervelec fit entrer Josy, l’invita à s’poser dans un canapé hors d’âge en alcantara taché, et lui proposa aussi sec un Label 5 de la Maison Franprix ; car non seulement Loïc était libidineux, mais en plus il était pingre. Josy, qui avait perdu tout sens du réel depuis sa gamelle de langue du pont d’la Butte, accepta sans sourciller le breuvage turpide que lui versa Loïc, dans un verre à moutarde Goldorak, déjà caramélisé par d’anciennes libations. Une guitare, copie d’Epiphone Jumbo, était posée contre un mur lépreux ; Josy s’enquit s’il savait manier cet instrument, qui représentait, à ses yeux de midinette, le comble du chic bohème…
Lekervelec, lui susurra, le sourire en coin et l’air mauvais, que, oui il savait un peu tâter de l’instrument et qu’il allait lui montrer la chose… Et alors - et d’y repenser, à nouveau, j’en frémis - l’horreur et l’épouvante s’abattirent, là, dans ce taudis d’Barbes… Loïc Lekervelec, toute honte bue, devant Josy, livrée à lui telle la poulette livrée à Père Dodu, Loïc empoigna son terrible engin, accorda vaguement la mi 1ère , et attaqua « Il faut que je m’en aille « de Graeme Allwright… (à suivre)
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