« Lavis Noir », c’est un feuilleton parisien. C’est l’histoire de Loïc et Josy, les amants du Pont d’la Butte. Y a de l’action, de la morale et du cul. Il y a surtout une formidable intrigue policière et un suspens haletant. Ce qui est bien le moins pour un feuilleton. Et c’est aussi une galerie de personnages - Miche la Gratouille, Toussaint l’Haïtien, Fabio le Calabrais…- qui vous feront vibrer tout au long de l’été. Aujourd’hui, les épisodes 31 et 32.
Quand ça veut pas, ça veut pas, et, c’est bien connu, quand ça veut pas, faut pas insister… Juste respirer un grand coup, et laisser l’effet s’faire… Mais pas Loïc. Et c’est pour ça qu’il finit son demi tranquille, et demanda à Miche :
- Ah oui ?… Et alors ça donne quoi ? T’as trouvé acquéreur ?..
- Acquéreur, acquéreur… pas tout à fait mais presque. Tu sais j’suis en relation avec pas mal de monde sur le marché d’l’art, alors je consulte… j’explore… je questionne… Et bien, figure-toi que ça intéresse quand même un peu, le Van Dongen, même en lavis. Y a une recrudescence de l’augmentation sur l’illustration… Tiens si j’te disais que l’an passé, y a même eu une expo Toulouse Lautrec à Dinan ! A Dinan, non mais tu t’rends compte !
- Alors du coup t’es en cours de placement, c’est ça ?…
- Pas loin, pas loin… disons qu’je suis en sérieux pourparlers avec un gros marchand d’art…. Mais dis donc, tu t’intéresses au truc, toi maintenant ? Alors que t’as même pas été fichu d’lui trouver un début d’commencement d’négoce possible, à la gamine ! T’as la curiosité fouinarde ou t’as une idée derrière la tête ?
- Ben, c’est pas ça, mais j’sais pas si Elo t’as parlé d’la caution ?…
- La caution ?…
- Oui… ben tu sais Elo, comme elle était méfiante et tout…
- Ben avec toi, faut dire que moi j’me méfierais même d’une poignée d’main,des fois qu’t’en profiterais pour tirer ma bague, alors…
- Oui, bon, alors voilà : Elo m’avait confié le Van Dongen, mais m’avait demandé une caution… au cas où… une garantie, en quelque sorte…
- Je vois : des fois qu’il te s’rait v’nu à l’idée de jouer « Arsène Lupin part en voyage « avec le petit Van Dongen, c’est cela ?
- Mais non, tu penses ! C’est pas mon genre… Mais, bon, le truc, c’est que la caution, j’l’ai pas récupérée… J’lui ai fait rendre le lavis par Vlad, mais j’ai pas voulu qu’le punk soit tenté par tout ce pognon, alors j’lui ai dit qu’il dise à Elo qu’je viendrais moi-même récupérer le fric… Tu vois ?…
- Oh oui, j’vois même très bien. Et tu t’dis comme ça que si Miche La Gratouille, elle fourgue Van Dondon, Loïc le Magnifique va récupérer sa mise de fonds ! C’est ça qu’tu te dis, dans ton petit crâne d’œuf, hein ?
- Ben, oui, en quelque sorte… C’est un peu comme ça qu’j’voyais les choses…
- Mais dis-moi, mon coco, elle t’a filé un reçu, j’suppose, Elo ?…
- Ben non, j’lui ai fait confiance ; et j’avais le lavis…
- Ah, ben c’est bien dommage, parce que tu vois moi, qui m’dit que tu l’as bien donné ce fric ?… Ou que tu l’as pas repris ?… Hein, qui m’le dit ?…
- Ben, moi, puisque j’te l’dis…
- Oui. Et à part toi ? Parce que tu sais, Loïc, j’vais t’dire un truc : quand le loup a l’cul merdeux, c’est pas l’agneau qui va l’torcher ! Alors va chier dans ta caisse et oublie ton flouze, s’il a jamais existé !
Miche la Gratouille avait parlé. Loïc Lekervelec avait écouté. Ça pour l’avoir merdeux, il l’avait merdeux, le cul.
Et c’est là, moi j’dis, que Loïc Lekervelec, c’était pas seulement une extravagance de l’espèce, une aberration cosmogonique ou une déviance génésique… Non, Loïc Lekervelec, c’était un destin !
Parce que, compte tenu du gros bazar, entre faux lavis et sourire kabyle, n’importe qui d’un peu sensé, à la place de Lekervelec, se s’rait fait la paire au Brésil ou à Plounéour-Trez…. Sauf que, faut croire, Lekervelec, il était pas sensé, puisqu’on le vit, le soir même de son grand oral avec Miche, s’enquérir, des deux côtés du pont d’la Butte, auprès de tout ce que la place Clichy comptait de voyous et de malhonnêtes, pour savoir s’ils auraient pas aperçu Toussaint l’Haïtien dans les parages.
Son idée, à Loïc, c’était que puisque la Miche était visiblement pas au courant pour la garantie, et que le fric semblait disparu, il allait causer un peu de la coupe de la canne à sucre avec l’antillais fou ! Ses idées malsaines de chantage l’avaient repris… Toussaint, il finit par le retrouver, lancé dans une partie de billard au Cercle Clichy… Il venait de se faire sortir sur un rétro malheureux qui lui avait fait empoché sa blanche, et il était à cran. C’est pourtant le moment que choisit Loïc pour l’aborder :
- Alors Toussaint, ça baigne ?…
- Tiens Barbouille !… Non, mon vieux, là. Ça baigne pas, là. Je vais me faire ratatiner mille balles comme rien, là, si ça continue !
- Merde, ça c’est con, alors, compatit Loïc en se rapprochant du comptoir près duquel l’antillais remettait de la craie bleue sur sa queue…
Gaffe où tu mets les pieds, lui intima Toussaint… Si tu touches mes chouzes…
Loïc, affranchi du fétichisme du blackos, fit un pas en arrière, histoire de pas risquer de maculer les bottines vernies à Toussaint.
- Aie pas peur, ça risque rien…
- Mais dis donc, là, c’est pas pour me voir faire une série d’quinze, je suppose que t’es venu, là…
- Non, non, j’passais au Cercle, comme ça, et j’t’ai aperçu… Parce que, figure-toi, que j’ai une relation, un client, qui collectionne les schlass de tous les coins… Et comme j’lui parlais de ta navaja de ouf, il m’a dit qu’la Malaga, justement, c’était comme qui dirait un Graal… Alors, en te voyant, j’m’ai dit, « tiens faut qu’j’en touche deux mots à Toussaint, des fois qu’il s’rait vendeur… »
Loïc avait bien conscience de ce que pouvait avoir de lamentable son entrée en matière, mais il fallait bien tâter un peu l’terrain, et voir comment l’antillais allait réagir. Toussaint réagit. Pas tout à fait comme l’espérait Lekervelec, mais il réagit :
- Alors là, mon vieux, tu tombes mal, là ! Figure-toi que je l’ai vendu y a à peine un mois, là, pour décorer la baraque d’une kéké de Montmartre ! Ma parole, il y a plus de demande sur l’arme blanche que sur la pute créole, alors !
Et il éclata de son grand rire plein de dents.
- Effectivement, c’est marrant… Et c’est qui la kéké de Montmartre ?… tenta, pitoyable, Loïc…
- La kéké, je sais pas Barbouille… Mais celle qui me l’a acheté, là, je sais… Et tu la connais bien aussi, mon vieux, parce que c’est Miche la Gratouille, là ! (à suivre…)
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