Le Paris de la fin des années 70. Entre rades de Barbès, Clichy, Montmartre. Narré avec l’argot du coin, loin des titis parisiens. Et une histoire d’escroc à la petite semaine qui voit débarquer l’occasion de sa vie. Une jolie fiction d’été, un cadeau des auteurs à « Bakchich », et de « Bakchich » à ses lecteurs. Aujourd’hui les épisodes 25 et 26.
La première chose qui vint à l’esprit de Loïc, quand il vit Elo au milieu de la pièce, aussi morte qu’une terrine de sanglier aux cèpes, c’est qu’il n’aurait même pas eu l’temps de s’la faire. Parce que Loïc Lekervelec, à l’époque, était une âme sensible et délicate ! Puis il se dit merde merde et merde, mon pognon. Même si c’était la thune à Josy, c’était son pognon. Alors il se mit à chercher comme un malade, bazardant les magazines et les enveloppes entassés sur la grande table à opium du salon, vidant les tiroirs des deux petites commodes chinoises qui encadraient la porte fenêtre, à travers laquelle on apercevait la vigne à mauvais vin de Montmartre… Puis il entreprit de fouiller les quatre pièces de la petite maison, placards de cuisine compris. Loïc le Volcanique dévasta la baraque, mais ne trouva rien… que dalle, que tchi… nib de thune et zob de fric ! Il revint dans le salon… parmi le foutraque de journaux et papiers qu’il avait virés d’la table il aperçut l’enveloppe du lavis… son cœur se mit à battre et il ramassa l’enveloppe et il n’en fit rien glisser, vu qu’il y avait rien. Disparu le gentil petit lavis de La Mort ! La Mort, présentement, elle n’était plus en dessin, mais en vrai, en dur, en bien épais… et le sang, aussi, sous Elo, qui avait commencé à coaguler, il était épais… et le cerveau de Loïc aussi, il devenait épais. Tout était épais…
Loïc balaya une dernière fois du regard le salon, cherchant un improbable indice de biftons ou quoique ce soit d’un peu de valeur, histoire de pas partir les mains vides. C’est alors qu’il aperçut, à moitié caché sous la table le couteau. Enfin, un couteau si l’on veut, vu qu’une navaja, même petite, c’est quand même pas l’Opinel à tonton René ! Une vraie Malaga, Loïc la reconnut tout de suite… plus trapue que la Tolède, la lame un peu large, un bon quart de mètre d’acier bien tranchant… Loïc, c’était pourtant pas l’expert en armes blanches. Mais la Navaja Malagueña, surtout celle-là, c’était en plein dans sa connaissance, au breton… Il se pencha et la prit soigneusement avec son mouchoir glaireux et lu, gravé dans l’acier : no me abras sin razon ni me cierres sin onor…
« C’est plus une lame, ton bistouri, c’est un vrai dictionnaire de citations ! »qu’il avait persiflé, Lekervelec, quand Toussaint l’Haïtien lui avait montré pour la première fois son épluchoir à viande… Toussaint avait éclaté de son grand rire plein d’dents, et avait répliqué en souriant : « Alors, là, Barbouille, quand tu lis la lame avec tes yeux, ça va… c’est quand tu la lis avec ton cœur que ça fait mal, là ! »Maintenant, chez Elo, Loïc se demandait si avec la gorge, ça faisait mal, de lire la lame…
Loïc jeta un coup d’œil dans la rue Cortot, déserte à cette heure, et referma derrière lui la porte sur le cadavre à moitié décapité d’Elo. Faut dire qu’avec le putain de coupe-chou qu’il avait ramassé, on aurait pu couper une couille d’éléphant comme une feuille de Rizlacroix ! Loïc avait enveloppé, après l’avoir replié, le poignard italien dans son tire-jus crasseux, un Cholais à carreaux grand comme un drap d’jeune fille. Parce que Lekervelec, qui avait tripoté avec ses patounes pas fraîches à peu près tout l’mobilier d’intérieur de la chanteuse clamsée, et laissé ses empreintes bien grasses sur toutes les surfaces, sauf celle des chiottes, Lekervelec, fin bec, précautionnait l’arme du crime, à des fins qu’il prévoyait vaguement rémunératrices… Sûr que l’heureux propriétaire de ce magnifique coutelas, serait ravi de pouvoir le récupérer moyennant quelques billets de mille… et peut-être même un dessin… genre lavis et sanguine… C’était ça qu’il se prévoyait, comme avenir Loïc : faire un peu chanter le grand air du « Donne-moi tout, j’dirai rien « à Toussaint.
Toussaint l’Haïtien, on l’appelait l’haïtien, rapport à l’autre Toussaint, Louverture, mais en réalité, c’était un guadeloupéen, un des antillais d’la place Clichy, qui fournissaient parfois Loïc en daube de second choix et en modèles nus défraîchis pour ses cartes cochonnes. En fait, c’était le plus branque d’entre eux… Son jeu préféré, à Toussaint, c’était de tailler le bout du téton droit de ses protégées, ce qui leur laissait un jolie petite boursouflure, quand ça leur infectait pas complètement l’nichon ! « Comme ça, tu es marquée à moi, et si les cow-boys de Barbes te volent, je te retrouve dans le troupeau ! »rigolait-il, quand elles s’indignaient de la mutilation. A l’époque, il en avait bien une douzaine, de tranchées, qui tapinaient du Boulevard de Clichy à la rue Blanche, avant que les travelos brésiliens n’investissent le lieu. C’était pas des grosses gagneuses, mais sur la quantité il arrivait à tirer de quoi s’payer des costards à rayures et des boots vernies… Les boots vernies, c’était son truc à Toussaint ; il en avait une petite trentaine de paires, et fallait pas lui marcher dessus, parce qu’alors sinon il se fâchait beaucoup ! Un barman du P’tit Poucet s’était fait embrocher pour avoir failli à l’amical conseil que Toussaint dispensait à tout venant : « Touche pas à mes chouzes ! »
Et c’était ce malade notoire, ce brinquezingue de première, que Loïc l’Héroïque, s’était mis en tête de faire chanter… Mauvaise pioche. (à suivre…)
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