« Lavis Noir », c’est un feuilleton parisien. C’est l’histoire de Loïc et Josy, les amants du Pont d’la Butte. Y a de l’action, de la morale et du cul. Il y a surtout une formidable intrigue policière et un suspens haletant. Ce qui est bien le moins pour un feuilleton. Et c’est aussi une galerie de personnages - Miche la Gratouille, Toussaint l’Haïtien, Fabio le Calabrais…- qui vous feront vibrer tout au long de l’été. Aujourd’hui, les épisodes 21 et 22.
Lulu inspectait le dessin de ses petits yeux malins, et passait un doigt léger sur le lavis que lui avait passé Loïc.
- Dis donc, Barbouille, ça m’a pas l’air tout jeune, là ton truc ?…
- Non, c’est pas jeune du tout même ! Du vrai 1900, Lulu, et pas de n’importe qui ! Mate un peu la signure : Van Dongen himself !
Lekervelec n’hésitait pas à causer canaille avec les canailles : il s’imaginait ainsi faire un peu partie de leur monde, ou, pour tout le moins, leur faire croire… Les banditos n’étaient pas vraiment dupes, mais ils laissaient faire : quand le cave avance masqué, il a généralement l’cul à découvert ; suffit juste d’le laisser passer pour le lui botter ; ou plus si affinités. Lulu Hortec, en bon voyou, estima l’arnaque possible, sinon probable, et suspecta :
Dis, ça s’rait pas un Van de Pute que t’aurais fabriqué dans ton atelier privé, des fois ?… Parce que le faux, en peinture, c’est un peu comme qui dirait la gymnastique de l’artiste… le fitness du rapin, non ?… Alors de là à vouloir épater l’bourgeois et lui r’filer du frelaté, y a qu’un pas, que tu t’amuserais pas à franchir avec moi, hein ?
Tu déconnes, Lulu ! Tu parles, j’m’amuserais pas à chercher à t’entourlouper ! Pas avec un pro comme toi, tu parles !… Non, c’est bien un Van Dongen, un lavis original, reproduit dans un canard de l’époque et qu’on avait perdu. Et moi j’l’ai retrouvé, voilà…
Loïc Lekervelec venait, en toute inconscience, d’attaquer, sur la personne de Lulu Hortec, les premières mesures de l’arnaque royale : le faux et son usage sont réservés à des malfrats de première, qui pratiquent le mensonge patenté, plus fort qu’un ministre des finances qui rapporte le budget, et la disparition instantanée mieux que le pote qui te doit mille balles ! Lulu fit une petite moue approbatrice et enchaîna :
Tu sais, dans mon secteur on est appelés à fréquenter toute sorte de gens… Et j’en connais qui seraient p’têt preneur pour de l’œuvre d’art, d’la vraie œuvre d’art. Bien sûr faudrait qu’tu sois vendeur, forcément…
Note que j’dis pas qu’jsuis pas vendeur, Lulu… Faut voir les conditions. Parce que les conditions, ben ça conditionne, n’est-ce pas ?…
Loïc se prenait au jeu, et s’mettait à croire à son nouveau personnage : il tentait même le tir au but dans les premières minutes, c’qui lui valut un contre de première bourre :
Dis, Barbouille, c’est toi qui parle de conditions ?… Faudrait p’têt bien d’abord qu’j’vérifie quelques petits détails, non ? Comme par exemple le côté vrai de l’œuvre d’art… puis d’où ça peut venir… et après on verra pour le prix … et ensuite les conditions. Tu voudrais pas qu’je croie que tu es pressé de me refiler une croûte, non ?…
Arrête tes conneries, Lulu, bien sûr que non ! Tu parles !…
Quand Loïc remit dans l’enveloppe à Elo la seconde copie de « La Mort », il fut à nouveau pris de tremblements. Ces mêmes tremblements qui l’avaient secoué, la veille, au P’tit Bat’, quand il avait remis son Van Dongen de Monopoly à Lulu Hortec. La malfaisance lui donnait la fièvre ; et la chiasse, aussi, un peu. Depuis l’matin, il avait les intestins qui jouaient relâche, tant sa propre hardiesse l’effrayait, sans qu’il pût pour autant s’empêcher d’emballer la machine à flouer : l’appât du gain facile, d’la monnaie à l’aise Blaise et d’la thune à flots mat’lot, lui faisait perdre tout entendement, et, c’est pratiquement halluciné qu’il décida d’amplifier son filoutage.
Parce que maintenant qu’il avait goûté aux délices de la fourberie, il mesurait tous les bénéfices qu’il pouvait en tirer ; si un roué comme Lulu, pouvait se laisser surprendre par le faux lavis, au point de vouloir en vérifier l’authenticité, c’était, il en était sûr, le gage qu’il pourrait abuser tout le monde et son frère ! Il aurait bien aimé pouvoir tirer une petite caution à Lulu Hortec, juste histoire de voir jusqu’où il pouvait jouer le Van Dongen mais, quand il avait osé aborder le sujet, le manouche avait été cassant :
Tu n’aurais pas de mauvaises pensées, des fois ?… Tu ne t’imaginérais pas que je vais t’étouffer le dessin, quand même ?… Parce que si tu n’as pas confiance dans la parole d’un Hortec, il ne faut plus venir roder par ici, tu comprends ?
Loïc Lekervelec, apprenti bandit, ne comprenait que trop bien, et il déclara que c’était pour plaisanter, bien sûr, en éclatant d’un rire forcé et nerveux. N’empêche. Puisque Lulu ne voulait pas le garantir, il allait purger Elo, et de belle manière. Si, dans sa première idée, il avait passé la caution à la chanteuse par pertes et profits, son apparent succès avec Lulu, et la certitude qu’il avait, de son don de faussaire, l’amenèrent à envisager une reprise de provision. Il monta un char mignon à Elo, genre « le marché est atone et j’ai pas trop d’demande », et lui téléphona qu’il lui envoyait Vlad avec le lavis en retour. Pour le pognon, il passerait lui-même le chercher.
Son plan merdeux, s’il n’était pas vraiment machiavélique, était bien un peu retors quand même : en envoyant Vlad, il se prémunissait d’une éventuelle découverte de l’embrouille, dont il aurait fait porter l’chapeau au punk. Et si le lavis était réceptionné comme il faut, il passait, à peu de frais, pour un gentleman, pas pressé d’son pognon et pas suspicieux pour un rond. Avec un peu de bol, il s’voyait même rafraîchir la pelouse à Elo avec sa tondeuse à manche ! Loïc Lekervelec était malin comme un singe. Mais pas plus. (à suivre…)
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