Avec son langage fleuri et prompt à dénoncer le « stalinisme » rampant de la société française, le nouveau secrétaire d’État poursuit en diffamation un blogueur.
Constat déprimant : les gouvernants intolérants qui veulent bâillonner l’internaute sont plus nombreux encore qu’on ne le suppose généralement.
Ainsi, à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne, 17.615 habitants), comme en Chine populaire, quoique par des moyens moins brutaux, on souhaite aujourd’hui faire taire les voix dissidentes qui s’expriment sur le Net. Le député-maire UMP de cette charmante cité balnéaire, Yves Jego, fidèle sarkozyste promu, il y a trois jours, secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, a porté plainte pour diffamation, le mois dernier, contre un directeur d’école du nom d’Yves Poey, militant socialiste, qui avait eu le front de le qualifier sur son blog d’« apparatchik ».
Ce mot, passé de longue date dans le vocabulaire des controverses politiques, où il est d’un usage fréquent, désignait, aux temps reculés où le Mur de Berlin coupait le monde en deux, et d’après la définition qu’en donne le Petit Robert, les « membres influents du parti communiste soviétique ».
Yves Jego estime, dans sa plainte, que l’impudent blogueur a « porté atteinte » à son honneur et à sa considération « en assimilant implicitement, par l’emploi du terme péjoratif “apparatchik”, le résultat de son parcours d’homme public et de parlementaire au simple résultat de son militantisme au sein d’un parti politique ».
Il est, certes, compréhensible que le député-maire se soit senti blessé par cette référence, mais, problème : lui-même semble parfois s’exonérer, dans le registre justement des allusions à feu l’URSS et sans trop se forcer, de la retenue qu’il réclame pour les autres – comme l’a prouvé le mois dernier sa réaction à l’appel « Pour une vigilance républicaine », lancé par l’hebdomadaire Marianne, et qu’avaient notamment signé François Bayrou, Ségolène Royal et Dominique de Villepin. S’emportant, Yves Jego avait jugé que les signataires voulaient « abattre » Nicolas Sarkozy – ajoutant : « C’est exactement la méthode des procès staliniens ».
Dans son esprit, par conséquent, « apparatchik » est un gros mot, cependant que « stalinien » relève du débat démocratique : faites ce que je dis plutôt que ce que je fais semble être, là, sa philosophie.
Fort de quoi, son avocat, durant l’audience correctionnelle (qui s’est tenue le 13 mars au tribunal de Fontainebleau), a demandé, raconte Yves Poey, que l’usage du Net soit mieux réglementé, et qu’il fallait par conséquent légiférer - car il n’est plus tolérable que des blogueurs subversifs puissent traiter n’importe qui d’apparatchik.
La liberté d’expression ? Oui-da, mais à condition de la consommer avec modération.
Yves Poey, à qui le nouveau secrétaire d’État réclame un euro symbolique, et (tout de même) « 3.000 euros de frais non répétibles », sera fixé sur son sort le 17 avril prochain. Gageons que Nicolas Sarkozy, qui affirme préférer « un excès de caricature à un excès de censure », saura trouver le moyen de lui apporter son soutien.
Il est évident que nous finirons un jour notre folle ( ?) course d’expression…
En effet, quoi de pire que le net ? Interactif, réactif, intuitif, à la portée de tous, bien souvent gratuit, nous sommes de surcroît de plus en plus nombreux à accéder à la toile pour y débusquer l’information. Chaque sujet peut y être décortiqué, comparé, débattu via la multitude de sites proposés… Une plaie pour ceux qui se battent au quotidien pour nous faire avaler des couleuvres…
Alors que tous les pouvoirs en place ont toujours cherché à avoir la main mise sur les journalistes de la presse écrite et télévisée, le net vient obscurcir cette volonté de manipulation. La réflexion est un très mauvais moteur pour imposer des choix politiques, idéologiques etc.
Je suis à peu près certaine, si ce n’est pas encore fait que l’on commence déjà à recenser les bons et les mauvais citoyens du net (un peu comme dans les manifs où l’on photographie les militants pour renseigner leur petit dossier personnel).
Conserver l’anonymat de ses propos sera bientôt un défis, mais brûler la toile sera-t-il aussi simple que de brûler des livres ?…
J’ai été condamné à payer 200 euros d’amende pour avoir écrit les deux mots "apparatchik" et "grenouillé" à l’encontre d’Yves Jégo.
Sachez, chers blogueurs et journalistes, ce que vous risquez dorénavant quand vous utiliserez ces deux termes.
En revanche, je ne suis pas condamné pour injure.
Bien entendu, je fais appel…