S’ouvre aujourd’hui à Cannes un sympathique colloque sur le sport et les médias, au sous-titre affriolant : Politique, argent, éthique. Un cocktail explosif qui avait fait des ravages en RDA, du temps du dopage d’Etat.
Même les plus aveugles entre ceux qui aiment le sport, même ceux qui sont animés d’un esprit de supporter et pour lesquels la fréquentation des stades est une raison de vivre, tous ceux là se posent quand même des questions sur la sincérité du spectacle que l’on met sous leurs yeux… Quelles questions ? Le sport est-il honnête, c’est-à-dire pratiqué par des acteurs non dopés ; ou encore, n’est-il pas corrompu par un excès d’argent ? Peut-on « acheter un match », un arbitre, un adversaire ? Ces idées, absentent des esprits il y a une trentaine d’années, sont maintenant dans les cerveaux les moins pervers. La mise en ligne de paris sur les rencontres ou épreuves, la création de véritables trusts regroupant sous la même enseigne des sportifs de haut niveau et un marchand de droit télévisés, vont demain ajouter du poids au doute qui règne déjà sur l’équité, l’éthique du spectacle sportif. Il y a un peu le feu à « la maison sport », et c’est pour cette raison que des rencontres comme ce « Sport et Media » prévu à Cannes, un rendez vous d’experts priés de réfléchir sur l’état de la compétition et son avenir, vont se multiplier. L’idée étant de dresser, si possible, quelques gardes fous, de mettre un peu de morale dans le sport business…
En matière de dopage, la « marchandisation » des compétitions pourrait assez vite nous conduire à une dépénalisation de la drogue de la performance. Il suffit, face à une Assemblée nationale si sensible aux lobbies, qu’un magnat du sport professionnel fasse passer une loi pour que tout le travail de prévention, de dénonciation fait depuis des décennies, s’écroule. Il me semble que le moment est venu de rappeler ce qu’était le dopage au temps de l’Allemagne de l’Est puisque le rêve dans abolitionniste est d’en arriver au dopage sous contrôle scientifique et médical…
Entre les début des années 70 et 1989, le dopage systématique mis en place par l’ancien régime communiste de la RDA a concerné, environ, une population de 10 000 athlètes. Bien que ces « traitement de la performance » se soient faits sous le contrôle d’une armada de médecins, un millier de ces sportifs, dopés, sont considérés comme gravement malades. Et en va du sportif en RDA comme de l’ouvrier victime de l’amiante en France, la drogue a créé des maladies professionnelles.
L’ancienne nageuse Karen Koenig, 31 ans, championne d’Europe du 4x100 et 4x200 m crawl en 1985, qui s’est portée partie civile dans le procès ouvert contre deux des plus hauts responsables sportifs de l’ex-RDA (accusés d’avoir ruiné la santé de dizaines d’athlètes pour servir les couleurs est-allemandes face à l’Occident ) souhaitait, avant tout, qu’un débat contradictoire mette en valeur le fait que les sportifs n’étaient pas consentants. Qu’ils ignoraient souvent ce qu’on leur administrait. Elle, se félicite de n’avoir développé aucune maladie grave, mais craint d’avoir un enfant « anormal », ce qui est arrivé à certaines de ses anciennes camarades. Sur 50 d’entre elles « 10 ont développé un cancer de l’utérus ou ont eu un bébé mal formé » dénonce l’ancienne nageuse. Parmi les plaignantes, Heidi Krieger, championne d’Europe du lancer du poids en 1986, est devenue Andreas Krieger. A force d’avaler des hormones mâles, elle s’est fait opérer pour changer de sexe.
Le premier à avoir craché le morceau sur la généralisation de ce dopage sous contrôle médical, est Werner Franke, un ancien cycliste, mais aussi éminent biologiste du centre d’oncologie de Heidelberg. En collaboration avec sa femme Brigitte Berendonk – lanceuse de poids de niveau international dans les années 1970 – il a rédigé un livre. Ce dernier révélait tout le système : « La particularité de l’ex-RDA a été de construire une organisation gouvernementale tentaculaire, impliquant des centaines de médecins et de scientifiques dans un programme gigantesque d’expérimentations génétiques qui rappelle le nazisme. En dépit de nombreuses suspicions, le reste du monde a ignoré cette organisation de dopage institutionnalisé, préférant rendre hommage aux résultats de l’Allemagne de l’Est. Des centaines d’entraîneurs et de médecins sont devenus des spécialistes du dopage, n’hésitant pas à transformer des femmes en androgynes et à traiter les athlètes comme des rats de laboratoire pour des expériences biologiques. »
Différents témoignages d’athlètes confirment que la féminisation des poitrines masculines (gynécomastie : développement exagéré des glandes mammaires chez l’homme) était une manipulation qui se rencontrait de plus en plus dans les enceintes sportives de RDA. Certains consommateurs chroniques d’anabolisants ont même dû se résoudre à subir une intervention chirurgicale esthétique afin de faire disparaître ces seins trop gênants. L’hebdomadaire allemand Stern, citant des documents de la Stasi – l’ancienne police secrète de la RDA – rapporte que des haltérophiles est-allemands ont dû subir une ablation des seins durant les années quatre-vingt. Le gonflement et la féminisation de leurs poitrines avaient atteint un stade précancéreux. Parmi les patients du chirurgien se trouve le médaillé de bronze aux JO de Montréal, Peter Wenzel, catégorie poids moyen (76 kg). Outre les cicatrices consécutives à cette opération, les sportifs concernés se plaignaient d’être exposés à des risques aggravés de cancer.
En 2002, le gouvernement allemand a annoncé que deux millions d’euros seront versés en compensation aux athlètes de RDA victimes de ce programme de dopage systématique « sous contrôle médical ». « La santé des sportifs d’ex-RDA a considérablement souffert du dopage d’Etat obligatoire » a expliqué le ministre de l’Intérieur, Otto Scilly. Après deux ans de débat, le 14 juin 2002, le Bundestag adopte le projet de loi prévoyant l’indemnisation de ces victimes, via un fonds de 2 millions d’euros financé par l’Etat fédéral et par un complément venant de la trésorerie de l’ancien comité olympique est-allemand. Parallèlement, en avril 2006 la réunion de conciliation entre les représentants des victimes et le groupe pharmaceutique Jenapharm, s’est soldée par un échec. Michael Lehner, l’avocat représentant 160 anciens sportifs et victimes, a regretté l’attitude de Jenapharm « qui n’est pas venu à cette réunion dans l’idée de trouver un accord ». Dans la foulée, l’avocat indique qu’il intente une action en justice contre Jenapharm dont l’Oral-turinabol®, un stéroïde anabolisant, était une drogue favorite utilisée par les instances de RDA pour doper leurs athlètes. L’association des victimes du dopage réclamait à Jenapharm et au Comité olympique allemand, un dédommagement de deux millions d’euros, somme équivalente à celle débloquée par l’Etat allemand.
Epilogue : le 21 décembre 2006, le groupe pharmaceutique Jenapharm annonce qu’il va indemniser 184 de ces anciens athlètes de haut niveau en leur versant une somme de 9 250 euros. « C’est un geste humanitaire et social » a insisté la direction de Jenapharm qui a également débloqué 170 000 euros pour aider l’association d’aide aux victimes du dopage dans le sport Est-allemand .
Le laboratoire, filiale depuis 2001 du groupe Schering racheté en 2006 par Bayer, a rappelé qu’il n’avait « aucune responsabilité juridique » vis à vis des victimes, souvent dopées à leur insu. « Avec le versement de cette indemnité, nous voulons apporter une contribution pour tenter d’atténuer la peine des personnes concernées » a-t-il indiqué dans un communiqué. En contrepartie, les 184 athlètes indemnisés se sont engagés à renoncer à toute procédure en justice contre ce même labo. « Si on peut dire que le dossier indemnisation est désormais refermé, la souffrance physique des victimes va, elle continuer » a prévenu l’avocat Michael Lehner. Début décembre 2006, le Comité olympique allemand était parvenu à un accord similaire avec 167 de ces anciens sportifs. Un an plus tard, les athlètes ont reçu chacun une somme d’environ 20 000 euros. Pour les 167 athlètes qui se sont manifestés auprès du Comité olympique et les 184 qui ont poursuivi Jenapharm, la prise de produits alors qu’ils étaient souvent mineurs, s’est traduite par des troubles psychiques et psychologiques, des leucémies, des cancers du sein, des problèmes de stérilité ou encore des dérèglements hormonaux.
A la suite de la chute du mur de Berlin différents procès à l’encontre des médecins dopeurs responsables en RDA, ont démontré que l’ensemble des performances réalisées par les sportifs de ce pays étaient dues, pour une partie non négligeable, à l’administration de « soins » pharmaceutiques. Malgré les révélations de Werner Franke, celles de triches généralisées, le Comité directeur de la Fédération allemande d’athlétisme (DLV) a décidé de garder sur ses tablettes tous les records nationaux. Même ceux établis sous dopage, comme le démontrent les informations puisées dans les documents de la Stasi. Toutefois, la DLV a accédé à la demande d’Ines Geipel qui souhaitait que son nom soit effacé de cette fameuse liste frelatée. En 1984, Geipel faisait partie du relais du SC Motor Iena, auteur de la meilleure performance allemande d’une équipe de club sur 4 x 100 m (42’’20). Ce record reste valable mais le nom de Geipel est remplacé par une étoile… Et si tous les athlètes avaient fait comme Ines, le tableau des records ne serait plus qu’une piste aux étoiles ! En guise de conclusion, il serait souhaitable que tous ceux qui prônent la « libéralisation » du dopage fassent d’abord un petit voyage d’études en ex-RDA, ils y rencontreraient les « gueules cassées » de la guerre du sport.
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sans vouloir faire l’apologie du dopage, on peut quand même préciser que "sous contrôle médical" peut, pourrait ou pourra signifier aussi un encadrement médical qui prévient justement les risques de maladie (masculinisation, féminisation, cancer, etc.).
par ailleurs, par "dopage" il faudrait bien préciser si l’on entend "produits interdits" ou non, car actuellement tous les sportifs prennent des produits, mais des produits autorisés (et des interdits pour certains).
(au passage vous indiquez sur cette page de commentaire "modération à priori" : vous écrivez "à priori" avec un "à" et non un "a", est-ce volontaire ? Car les deux orthographes sont possibles mais le "a" sans accent est plus "juste" ; il l’est à l’origine en tout cas… Bref vous pouvez supprimer cette parenthèse :-) )