Quel ingrat ce Christian Estrosi ! Lui qui pouvait toujours compter sur son ami Nicolas, voilà qu’il biffe l’UMP de ses affiches… Alors qu’ils ont autrefois échangé de belles lettres, au sujet d’une opération immobilière de l’Etat.
Le 6 juin 2005, Dominique de Talancé, juge d’instruction à Paris, auditionne un marchand de biens, mis en examen pour « blanchiment » et pour « abus de biens sociaux », du nom de Pierre Reynaud. Elle souhaite, notamment, l’interroger sur un projet d’opération immobilière dans lequel sont intervenus, un an auparavant, le ministre des Finances de l’époque, Nicolas Sarkozy, et son ami Christian Estrosi, qui présidait alors le conseil général des Alpes-Maritimes.
L’épisode est à la fois très simple, et très divertissant – quand on sait qu’aujourd’hui le même Christian Estrosi, briguant la mairie de Nice où officie actuellement Jacques Peyrat, se garde bien de mentionner, sur ses affiches électorales, son appartenance au parti présidentiel, un peu comme s’il craignait de subir localement le contrecoup de l’effondrement de la cote de popularité du chef de l’Etat.
En 2004, le ministère des Finances veut se défaire d’une partie de son patrimoine immobilier. Reynaud convoite certains de ces biens : il est, dit-il, mandaté par des investisseurs, le groupe Aerium, qu’intéresserait l’acquisition d’un bâtiment sis rue de l’Université, à Paris. Le marchand de biens demande alors un coup de main à un avocat niçois, qui se trouve être, notamment, le conseiller de Christian Estrosi, et qui accepte bien volontiers de solliciter son client. Lorsque la juge Talancé, que travaille une légitime curiosité, lui demande pourquoi cet avocat demande à Christian Estrosi d’intervenir dans l’acquisition d’immeubles situés à Paris, Reynaud répond, en toute simplicité, que c’est parce qu’il sait que les deux hommes, Estrosi et Sarkozy, font du vélo ensemble : forcément, ça crée des liens.
De fait, le 24 novembre 2004, Nicolas Sarkozy envoie deux lettres qui confirment l’intervention de son copain cycliste. L’une, à l’avocat niçois, pour l’informer que « la candidature du fonds Aerium à l’acquisition de deux immeubles appartenant à l’Etat » lui « est bien parvenue », et qu’il en a « pris bonne note ». (Le ministre, serviable, précise même : « Comme vous l’a indiqué ma collaboratrice (Mme Emmanuelle Mignon), M. Michel Hainque, délégué général adjoint de la mission interministérielle de valorisation du patrimoine immobilier de l’Etat (…) est à la disposition du fonds Aerium pour toute information sur cette opération ».) L’autre, à Christian Estrosi, de même teneur, mais qui se termine par ces quelques mots émouvants : « Je vous prie de croire, Monsieur le Député et cher ami, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs. Ton ami, Nicolas Sarkozy ».
Les socialistes niçois, quand ils parlent de leur quotidien régional, que son PDG présente comme un « journal indépendant », ne disent pas : Nice-Matin. Ils disent : Estro-Matin. Les partisans de Jacques Peyrat, de leur côté, préfèrent fustiger le « monopole de presse niçois ». Pour essayer de comprendre cette espèce d’animosité, jetons un coup d’œil à l’édition du 3 mars 2008. A la page 10, dévolue aux municipales, un encadré présente, sur deux colonnes, « l’agenda du jour » des candidats. La première colonne est tout entière consacrée à la « liste Christian Estrosi ». Quatre autres listes se partagent l’autre colonne. L’indépendance, coco ? C’est tout un métier.
Précision importante : il n’y a rien d’illégal, dans cet échange. Il n’est pas rare qu’un élu fasse passer à un ministre un petit mot de recommandation ou de sollicitation – qui, bien sûr, ne préjuge de rien.
Pierre Reynaud, quant à lui, a simplement voulu frapper aux meilleures portes : quand la juge qui l’auditionne semble s’étonner un peu que de si hauts personnages soient intervenus dans une si banale opération immobilière plusieurs semaines avant que ne soit officiellement lancé l’avis d’appel à candidature, le marchand de biens lui répond qu’il est de notoriété publique qu’Estrosi est l’ami de Sarkozy. Mauvaise pioche : l’immeuble a finalement été cédé, coquin de sort, à un autre investisseur.
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