Avant sa mort, l’un des plaignants de l’affaire Rhodia, le milliardaire Hugues de Lasteyrie, enquêtait sur la banque de l’establishment, le discret groupe Hottinguer, et sur ses relations avec l’une des figures du CAC 40, Jean-René Fourtou.
L’affaire Rhodia, ce dossier ouvert suite aux plaintes de deux prestigieux financiers, Edouard Stern et le comte Hugues de Lasteyrie, qui s’estimaient floués sur les importants placements effectués sur les titres de l’entreprise de chimie, se repose tranquillement au Palais de Justice de Paris. L’AMF leur a donné raison, au moins en partie, condamnant Rhodia et son ancien PDG Jean-Pierre Tirouflet à de grosses amendes pour avoir délivré au marché une communication trompeuse. Ce dernier a été mis en examen en juin 2008, les premières poursuites lancées depuis 2004, date du début de l’affaire, par les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons. Aujourd’hui les deux plaignants fameux ont disparu : Stern est mort assassiné par sa compagne et Lasteyrie, milliardaire depuis ses affaires avec Arnault puis Pinault, foudroyé par un infarctus à 58 ans, l’a suivi dans la tombe en juillet 2007.
Détenteurs de près de 11% du capital de Rhodia, la veuve et les enfants de ce dernier ont repris son combat judiciaire. Les derniers dossiers laissés par Hugues de Lasteyrie entendaient orienter l’enquête vers une cible précise : le groupe Hottinguer, connu pour être l’établissement chouchou de l’establishment et des affaires. Le milliardaire, basé en Belgique, enquêtait avant sa mort sur cette nébuleuse. Il avait commandé les statuts et les documents procès-verbaux d’assemblée de toutes les sociétés du groupe, qu’elles soient basées en Suisse, aux Bahamas, au Luxembourg, aux Etats-Unis, au Canada, en Autriche, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, à Curaçao…
Une note sans en-tête retrouvée dans les dossiers de Hugues de Lasteyrie retrace brièvement le parcours de cette grande famille autour d’une figure centrale, sorte de patriarche, le baron Henri Hottinguer. Lasteyrie mandatait pour ses affaires de nombreux enquêteurs privés, avant d’en transmettre le résultat à la justice ; le rapport en question est probablement l’œuvre d’une agence d’intelligence économique.
Doc
Son enquête, même si elle paraît éloignée du cœur de l’affaire Rhodia et des énormes pertes suscitées par l’effondrement de son cours de bourse, vise une figure centrale du dossier : Jean-René Fourtou. Ancien président de Rhone-Poulenc (futur Aventis), Fourtou se voyait reprocher par Lasteyrie d’avoir transféré en 1998 à sa filiale Rhodia les risques environnementaux gigantesques qui pesaient sur le groupe, ainsi que d’éventuelles manipulations comptables auxquelles se seraient par la suite livrés les patrons et administrateurs de Rhodia, dont Fourtou. Vivant, Lasteyrie avait clairement Fourtou dans sa mire et ce dernier, patron du conseil de surveillance de Vivendi, qualifiait en privé le comte de « maître chanteur ». Et autres noms d’oiseau…
Menant ses investigations sur Jean-René Fourtou, qui était également administrateur de l’assureur Axa et particulièrement proche de son président d’honneur Claude Bébéar, le financier plaignant avait détecté des liens importants entre Axa et la banque Hottinguer. « Dans le cadre des différentes participations aux conseils d’administration de nombreuses sociétés, il apparaît une présence forte et croisée des intérêts Hottinguer et des intérêts Axa. L’activité qui prédomine est largement celui de l’investissement immobilier, qui est par ailleurs un des axes majeurs de l’activité Hottinguer, dont on peut penser qu’il s’appuie sur l’ingénierie financière que ces banquiers peuvent apporter », relate le rapport d’Hugues de Lasteyrie, qui note que, dans les participations croisées entre les sociétés du groupe Hottinguer et Axa, « il apparaît également des noms de sociétés qui sont dans le giron d’Axa et qui possèdent des participations dans différentes banques étrangères dont il serait intéressant de vérifier les activités et qui peuvent représenter des portes d’accès à des évasions de capitaux vers les pays arabes ». Tout de suite les grands mots. Rien de tout cela n’a été vérifié - à notre connaissance - par ce financier plus que curieux.
« Je ne sais pas exactement quelles recherches menaient mon client, je n’étais chargé que du dossier Rhodia instruit par la justice, explique Philippe Champetier de Ribes, l’avocat de Lasteyrie. Ayant lui-même été banquier, il avait peut-être des pistes à explorer mais il ne m’en avait pas parlé. Nous n’en savons pas plus ».
De l’aveu même de l’avocat, son client aurait pu faire « un excellent juge d’instruction » s’il n’avait opté pour la finance et ses bons coups juteux. Quant aux deux (vrais) juges, ils devraient convoquer bientôt une nouvelle salve d’ex-responsables de Rhodia et Rhône-Poulenc.
Demain vendredi 2 octobre, la suite de l’enquête de Bakchich à lire ici.