Le journaliste d’Al Jazeera Ahmed Mansour s’est fait voler toutes ses valises alors qu’il se trouvait en France pour interviewer un important opposant tunisien. L’affaire est sensible.
Ahmed Mansour n’est pas n’importe qui. Présentateur-vedette de la chaine de télévision Al Jazeera, ce journaliste égyptien anime deux shows très populaires dans le monde arabe dont "Shahed Ala Al-Asr" ("Témoin du siècle") où les confessions d’une personnalité ayant marqué son époque sont diffusées en plusieurs épisodes. C’est justement dans le cadre de cette émission que le présentateur s’est rendu en France à la fin du mois de juillet 2010. Direction, l’hôtel Pullman du 15è arrondissement parisien qui se situe à proximité de l’Aquaboulevard.
Le programme est chargé car le journaliste doit interviewer dix heures durant un important opposant politique tunisien réfugié en France : Ahmed Bennour, ancien secrétaire d’Etat à l’Intérieur de feu le président Bourguiba, qui a décidé de se mettre à table. L’homme en sait beaucoup sur les secrets du régime tunisien comme du président Ben Ali et a même été récemment menacé de mort en France.
Avant d’entamer les enregistrements de son émission, Ahmed Mansour décide de se rendre à Marseille quelques jours pour une visite privée. Et de voyager léger puisqu’il laisse à la bagagerie de l’hôtel Pullman ses deux valises. Las ! A son retour à Paris le 2 août 2010, ces dernières ont disparues. Volatilisées avec à l’intérieur un I-phone riche de 4000 numéros de personnalités internationales dont des chefs d’Etat et un disque dur externe contenant 500 giga octets d’informations confidentielles dont le planning de toutes les personnes qu’il doit interviewer en 2011.
L’affaire est sensible comme en témoigne le fait que l’ambassade du Qatar ait immédiatement mis à la disposition du journaliste une voiture avec chauffeur ainsi qu’un diplomate chargé de l’assister, notamment pour les traductions avec les forces de l’ordre françaises. « L’affaire est remonté au plus haut niveau à Doha » glisse un membre de l’entourage du journaliste.
La victime du vol a eu l’occasion de visionner la vidéo filmée par les caméras de surveillance de l’hôtel Pullman montrant que le larcin a été commis le 31 juillet 2010 à 12h05 précises et implique trois personnes dont, visiblement, deux employés de l’établissement. « Selon les informations que j’ai obtenues de l’administration de l’hôtel, il s’agit de deux employés tunisiens : l’un qui travaille à la conciergerie et l’autre à la réception qui ont aidé un troisième homme de l’extérieur à prendre les bagages. Ils ont arrêté leur travail après cette mission » explique Ahmed Mansour dans une interview exclusive avec Bakchich.
Le journaliste est en effet persuadé que ce vol est le fait des services secrets tunisiens, particulièrement bien implantés dans l’Hexagone. « Leurs agents ne sont pas moins de 300 et travaillent dans des hôtels, restaurants, épiceries et comme chauffeurs de taxi. (…) Après avoir visionné la cassette (de l’hôtel), je suis sûr que des agents tunisiens sont impliqués dans le vol de mes bagages. J’accuse directement les services secrets tunisiens d’être derrière cette opération » fulmine le journaliste.
Si du côté du groupe Accor qui possède les hôtels Pullman on fait prudemment savoir à Bakchich que « des procédures judiciaires sont en cours. Nous ne pouvons donc faire aucun commentaire à ce sujet », l’avocat d’Ahmed Mansour à Paris, maître Tarik Abahri , indique que « l’enquête avance bien et que la police fait son travail ».
En attendant, le journaliste ne décolère pas et dénonce le laxisme des autorités françaises à l’égard des barbouzes tunisiennes. « Je crois que c’est un scandale pour les services français que les services secrets tunisiens travaillent librement en France comme ils l’ont fait dans mon cas et lancent des attaques contre ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis. Par conséquent, j’appelle les autorités françaises à agir et à protéger les hommes des médias qui travaillent sur leur territoire. (…) Les agents des services secrets tunisiens devraient être expulsés de France puisque leur existence en France est une insulte pour tout le pays ». Heureusement l’interview d’Ahmed Bennour a pu être enregistrée et sera diffusée dans moins d’un mois maintenant sur Al Jazeera.