Hasard de l’actualité, le livre de Patrick Pelloux, urgentiste et chroniqueur de « Charlie Hebdo », sort tandis que les médecins des urgences ont réalisé une grève symbolique lundi 1er décembre.
Qui ne connaît pas Patrick Pelloux, l’urgentiste le plus actif médiatiquement, celui dont les coups de gueule interpellent incessamment les pouvoirs publics sur leur gestion calamiteuse de l’hôpital ?
Président, depuis 1998, de l’Association des Médecins Urgentistes Français, médecin aux urgences de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, et au SAMU aujourd’hui – où il a été muté il y a quelques mois – cet ardent défenseur du service public commet ces jours-ci un nouvel ouvrage, Urgences pour l’Hôpital. Morceaux choisis (et de choix).
Sur la difficulté de travailler dans les urgences : « C’est souvent cocasse de voir arriver aux urgences certaines personnes […] qui découvrent brutalement dans leur chair ou celle de leur proche l’importance de la médecine d’urgence et les difficultés de travailler dans ces services. Les services d’urgence ne sont pas les passe-plats des autres services de spécialités qui seraient le haut du pavé de la médecine. Ils ne sont pas là pour faire le boulot que personne ne veut plus faire ou prendre en charge, notamment sur la permanence des soins… » « Si les personnels ne sont pas toujours aussi accueillants qu’ils le devraient, c’est surtout dû au stress épouvantable, au manque de personnel et à la saturation extrême des contraintes… […] Toute la chaîne des secours a des conditions de travail très difficiles et stressantes. »
Sur l’organisation des urgences : « L’organisation des services d’urgences dans les hôpitaux est très en retard par rapport au Samu. Les Samu ont été structurés par les anesthésistes, et d’emblée la logistique y a pris toute son importance. Elle a d’ailleurs été l’un des facteurs déterminants de la qualité des secours préhospitaliers, Samu comme pompiers. Mais les urgences intra-hospitalières n’ont pas su aborder cette logistique, cette gestion des flux, cette architecture ergonomique. […] Le retard est frappant dans les hôpitaux de Paris, ou dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) : des filières par spécialités dans les urgences, une sélection des malades et pas de triage selon la gravité. » « Il est simple de se donner une idée de l’organisation d’un service d’urgences en regardant les cernes des infirmières et l’état de la salle d’attente. Pièces étroites, saturées de monde, sans lumière… »
Sur la pénurie de certaines spécialités : « L’Ile-de-France, 11 millions d’habitants : un seul service de garde de neurochirurgie. Pourtant, s’il y a bien une urgence chirurgicale qui engage le pronostic vital et fonctionnel du malade, c’est la neurochirurgie. En 1997, lorsque nous avions, avec les docteurs Laurent Casenove, Régis Garrigue et Philippe Ailleres, créé l’Association des médecins urgentistes de France, nous avions évoqué ce problème à l’agence régionale d’Ile-de-France. Depuis, peu de choses. Les Samu débordent de dossiers et de contentieux avec les neurochirurgiens. […] Vous n’arrivez quasiment jamais à joindre un neurochirurgien de garde. Avec mon ami le docteur Taleb Bouras, radiologue de talent, avant qu’il ne soit poussé à la démission de l’hôpital Saint-Antoine, nous nous disions toujours qu’il serait plus simple, via la télémédecine, d’avoir des avis rapides d’un neurochirurgien américain que de neurochirurgiens en plein Paris. »
Sur les urgences dites chirurgicales : « 50% des malades qui arrivent aux urgences relèveraient de la chirurgie. […][Or] même s’il existe des établissements où il est affiché "urgences chirurgicales", ça ne veut pas dire que le chirurgien est présent 24 heures sur 24. A l’heure où les systèmes, en termes de rapidité, se sont adaptés aux besoins des personnes, les hôpitaux et cliniques sont en retard en ce qui concerne l’adéquation entre la pancarte et la présence effective. »
Sur l’organisation de l’hôpital : « La difficulté pour les malades, une fois qu’ils ont obtenu leur rendez-vous, c’est que tout soit centralisé. Rares sont les services où l’on peut venir, faire son bilan, avoir l’avis spécialisé : ça nécessite souvent de revenir, et que l’ensemble des intervenants soient informés. A tel point qu’on peut se demander parfois si, en fait, le système sanitaire a vraiment la volonté d’obtenir une réponse, dans l’espoir d’une guérison, ou s’il s’autogénère un peu comme – l’avez-vous lu ? – le docteur Knock. »
Sur l’hôpital-entreprise : « S’il est bien un président de la République qui, dès son arrivée à l’Elysée, a mesuré toute l’ampleur de la problématique de l’hôpital, c’est Nicolas Sarkozy. Il a senti l’importance de l’hôpital en termes économiques et sociologiques, mais pour le pousser vers le libéralisme. […] En dix ans, il y a eu plus de 100 000 lits d’hospitalisation qui ont fermé dans les hôpitaux en France, lits médicaux, chirurgicaux et obstétriques, et plus de 20 000 emplois seront supprimés prochainement. Ces fermetures se poursuivent alors même que la France a été confrontée à la catastrophe de la canicule de 2003, qui révélait les carences des possibilités d’accueil des personnes les plus démunies. » « Dans sa lettre du 12 octobre [2007], le président de la République réaffirme les outils néolibéraux de gestion de l’hôpital. […] Il est aujourd’hui classique d’entendre ces déviations de plus en plus importantes du discours économique ou industriel, le "management", l’ "efficience", la "rentabilité", la "production", l’ "évaluation", l’ "audit"… Tout ce vocabulaire pris des économies productivistes et qui sort radicalement des idées sur lesquelles les hôpitaux se sont construits. »
Sur la tarification à l’activité : « […] soi-disant, cette tarification avait été élaborée pour permettre de mieux prendre en charge les malades. Trois ans après, c’est un échec total : non seulement cette loi a aggravé considérablement la mentalité des hôpitaux qui n’ont pas pu combler leur déficit, mais surtout elle a entraîné une course à l’activité notamment avec des établissements privés qui n’ont sélectionné que les malades dits rentables. La tarification à l’activité n’a absolument pas simplifié le système entre privé et public, puisque le privé n’a choisi que les pathologies les plus rentables et que le public n’a pas su faire face. […] Un jeu de concurrence est alors né entre les deux. Les théories libérales et néolibérales soutiennent que la concurrence hôpital-clinique est un progrès pour les deux compétiteurs. Mais, dans le domaine de la santé, ce n’est absolument pas une concurrence positive mais négative, qui a entraîné une sélection des malades. Et qui dit sélection dit inégalité des chances. »
Ces citations sont tirées d’Urgences pour l’Hôpital, de Patrick Pelloux, édité au Cherche-Midi (Paris, 2008)
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Pelloux a oublié de nous dire que lors de la grande sécherresse de 2003, où tant de personnes agées sont passées de vis à trépas, il était, comme aujourd’hui, impossible de trouver un toubib sur Paris en plein mois d’Aout ! Tout le monde en vacances et les urgences se démerderont ! Mais on ne crache pas sur les confrères ! Jamais ! De plus, force est de constater son engagement politique qui devrait le voir arriver dans peu de temps sur une candidature de député ou autre. Actif soutien de la Ségo, il a de l’avenir ce garçon !
Je lui reproche, non pas ses prises de position et de défense de l’hopital public, mais son manque flagrant d’honnéteté intellectuelle.
Les gens comme lui sont des intouchables. Par malheur.
Eh non, les médecins généralistes n’étaient pas tous en vacances pendant la canicule de 2003, c’est l’assurance maladie qui le dit et on peut la croire puisqu’elle s’appuie sur les remboursements effectués, donc sur l’activité réelle des médecins libéraux !! Par contre, ils n’étaient pas en position de s’apercevoir de l’ampleur du problème, ne voyant chacun que 2 ou 3 cas de décès par déshydratation. Ce sont les pompiers de Paris qui, eux, intervenant sur toute la commune et centralisant leurs données, ont très vite pris la mesure du problème mais le préfet de Paris leur a interdit d’en parler. Au fait, il a été inquiété ce monsieur ? Pas à ma connaissance.
Quant à notre ami Pelloux, on comprend bien qu’il voit s’ouvrir devant lui une belle carrière médiatique, du moins le croit-il. Mais ses capacités d’analyse de la situation sont loin d’être à la hauteur. A preuve, ses propos désobligeants sur les médecins généralistes avec lesquels il faudrait pourtant bien arriver à travailler… Le problème des "urgences" dans le monde de la santé ne se réduit pas à celui des urgences hospitalières et celui de la T2A (tarification à l’activité) à la seule logique néolobérale.