Fin octobre s’achève la dernière session parlementaire pré-électorale, et l’espoir de voir Hissène Habré jugé.
L’été est fini à Dakar. Et avec l’hivernage s’en sont allés les bonnes résolutions de juillet. Lors du sommet de l’Union Africaine à Banjul, le 3 juillet dernier, le Président Wade jurait la bouche en coeur que oui, après avoir refusé l’extradition d’Hissène Habré vers la Belgique, l’ex-dictateur tchadien, serait traduit devant la justice sénégalaise. Une victoire à la foi pour les organisations des droits de l’homme et les défenseurs de la dignité africaine, heureux que l’on puisse juger un dictateur africain en Afrique.
Le Sénégal, une fois encore, allait être un exemple, battre en brèche l’impunité dans laquelle se pavanent les autocrates du continent, bref ouvrir une nouvelle voie. Les émissaires européens laissaient même entendre qu’ils mettraient la main à la poche pour financer la tenue et les investigations nécessaires à un tel procès. Et les grands démocrates présents au sommet de l’UA, Sassou du Congo, Khadafi de Libye, Bongo du Gabon, Béchir du Soudan, d’applaudir des deux mains…
Depuis, le brave Hissène, affectueusement surnommé le « Pinochet africain », coule des jours heureux dans le quartier des Almadies, en bordure de la capitale. Entre Gazelle, bouye et jus de Bissap, le quotidien est doux et aucune nuage judiciaire ne risque de l’atteindre. Car se profilent les élections, législatives et présidentielles, prévues pour février 2007. Les scrutins à venir occultent médiatiquement son cas et la guéguerre entre Wade et son ancien Premier ministre Idy est, il est vrai passionnante.
En outre, s’attaquer à un homme, tout tortionnaire qu’il soit, protégé par une confrérie musulmane, n’est guère payant politiquement dans un pays profondément croyant.
Arrivé au début des années 90 au Sénégal, Habré y a été accueilli à bras ouvert par la communauté tidiane et leur chef, le Khalife de Tivaouane. Une amitié scellée pour 600 millions de Francs CFA persiflent les mauvaises langues. Mais qu’importe quand on aime on ne compte pas et l’investissement s’est même mué en viager. Sur son lit de mort en 1997, le Khalife Abdoul Aziz Sy a demandé à son frère et actuel chef des tidjanes, Serigne Mansour Sy , de « veiller sur Habré ». Jusqu’à présent les plaintes déposées contre l’ancien dictateur pour tortures et crimes contre l’humanité n’ont jamais eu raison de cette si chère protection. Mieux depuis 2001, la justice sénégalaise s’est déclarée incompétente à juger « un ressortissant étranger pour des crimes commis à l’étranger ».
L’efficacité n’est pas la moindre des qualité d’Hissène Habré. En huit ans de pouvoir (1982-1990), l’ex-dictateur tchadien a selon les associations de droits de l’homme, torturé et fait exécuté plusieurs milliers de ses petites camarades. Formé à l’école de la modestie, l’ancien rebelle et kidnappeur de l’ethnologue Françoise Claustre a eu le bon goût de dissimuler son oeuvre, si bien qu’un comptage exact du nombre de ses victimes est impossible. Arrivé et chassé du pouvoir via deux coups d’Etat, l’ami Hissène aspire aujourd’hui à la tranquillité, au pays de la Téranga. Et jusqu’à présent, l’exil lui réussit fort bien. Malgré des demandes d’extraditions répétées vers le Belgique et le Tchad, une campagne intense menée par l’organisation Human Right Watch, Habré n’a guère été inquiété. En 2001, la justice sénégalaise s’était déclarée incompétente à le juger. En 2005, le Président Wade en personne s’opposa à son transfert vers la Belgique. Seuls petits soucis pour Hissène, en ces deux occasions, il avait été deux fois, appréhendés par la police. De lointains souvenir.
Seule une réforme du code pénal et du code de procédure pénal pourrait donc titiller un peu l’ancien compagnon de jeu d’Idriss Déby. Le texte est d’ailleurs rédigé, visé par le Conseil d’Etat, et prêt à être débattu en conseil des ministres…où siègent deux ex-avocats d’Hissène Habré, Souleymane Ndéné Ndiaye et Madické Niang. Griot en chef du président, à l’occasion plume rapide quand il s’agit d’écrire un livre de louanges de « Gorgui », Madické Niang, désormais ministre de l’Energie, a même un temps été à la fois conseiller juridique de Wade et avocat d’Habré. De mauvaises langues osent même affirmer qu’il agit toujours dans l’ombre.
Avocat brillant, Souleymane Ndéné Ndiaye occupe lui le poste stratégique de directeur de cabinet présidentiel, passage obligé avant la primature. Bref, Habré n’a pas beaucoup d’émis dans le gouvernement de la Téranga. Et au cas où le texte passerait l’écueil du conseil des ministres, encore faudrait-il l’inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée nationale, dont la dernière session pré-électorale s’achève fin octobre. Jusqu’en février 2007 au moins Hissène est donc à l’Habré…