Bercy et le Sénat ont accouché de rapports sur la récupération des données personnelles et la protection de la vie privée sur internet. Nos fiers élus cherchent encore la parade…
Pendant des mois, députés, sénateurs, et gouvernement en ont sué sur les bancs des assemblées. La faute à Hadopi, une loi censée réguler le foutraque réseau Internet français, ses téléchargements illégaux, ses fichiers piratés.
Sans doute avides de sécher, nos fiers élus se réfrènent un peu depuis. Quand le web reste à domestiquer. Et sa toile, espace de liberté chéri autant que redouté, un terrain à légiférer. Notamment au rayon vie privée.
Selon une étude du Credoc (2008), « 60 % des internautes se sentent préoccupés par la question de l’utilisation des données qu’ils fournissent, spontanément ou non, auprès des divers acteurs présents sur la toile ». Sans que cela empêche les sites de réseaux sociaux (Facebook revendique 350 millions de membres) ou les encyclopédies libres (Wikipedia) de prospérer. Et de fournir nombre de données sur leurs utilisateurs, dont raffolent les publicitaires.
Bien conscient du souci, mais un peu réfractaire à se perdre à nouveau dans les méandres de la toile, le ministère de l’Économie a tout de même accouché d’un rapport sur la question. Un bijou commandé au Conseil général de l’Industrie, de l’Energie et des Technologies, pondu en mars 2009 et resté inexploité depuis. Pourtant y émergeait un fort intéressant abus quant aux messageries électroniques. Leur assujettissement aux robots.
Tout mail se trouve ainsi scruté et analysé par des petites mains sans âmes et sans yeux. De la violation invisible de correspondance privée… et utilisée à escient publicitaire. Petit exemple illustré, un e-mail à votre patron. Avec un objet anodin : la prochaine réunion de travail qui, dans le cadre des échanges entre les Dom-Tom et la métropole, se tiendra en Martinique. Sitôt la missive envoyée, apparaît sur la colonne de droite de votre messagerie – souvent réservée aux annonceurs –, une publicité pour une agence de voyage, vous invitant à passer du bon temps en Martinique.
Bigre, un hasard ? Non, le résultat du passage d’un robot de messagerie. Selon le rapport de Bercy, « l’usage des robots de messagerie, qui analysent les messages transmis, semble être devenu pratique courante ». Et les crânes d’oeuf du ministère de détailler que « ces robots cherchent des mots clés dans les messages transmis ou reçus pour mieux cerner le profil des internautes utilisant ces services ». Le message aura donc été « analysé et scruté sans qu’ils [les internautes] aient pu avoir le moindre choix en la matière ».
Fort incommodés de voir leurs concitoyens ainsi soumis aux desiderata de machines, les pontes de Bercy préconisent tout simplement l’interdiction des robots…Transmis à Microsoft (Hotmail), Google (Gmail) et autres Yahoo, toujours prêts à se plier aux recommandations des gouvernements…
Décidément vindicatifs, les petits rapporteurs s’en prennent mêmes aux cookies du Web. Non seulement les messages privés sont scrutés, mais l’internaute est également suivi à la trace. Les annonceurs parviennent à cibler leurs publicités en fonction des « habitudes et comportements extrêmement précis » des internautes, via des « sociétés spécialisées dans la consolidation de données ». En somme, dis-moi quels sites tu fréquentes, et je te donnerai de la pub adéquate…
Du travail qui rapporte. « On estime le chiffre d’affaire en France de la publicité internet à 2 milliards d’euros (selon l’observatoire de la publicité), laquelle n’est qu’une partie des échanges financiers induits par cette activité ».
Un pactole que ne pouvaient prendre en compte ni la loi informatique et liberté (1978), ni la loi Godfrain (1988), et que la loi pour la confiance dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique (2004) a malheureusement zappé.
Et auquel Bercy, prudemment, ne préfère pas se mêler, renvoyant à une réflexion européenne sur le sujet… Gouverner c’est savoir déléguer, et rapporter !
Dans sa grande sagesse, le Sénat s’y est aussi collé. Avec un rapport un peu plus anglé, « La vie privée à l’heure des mémoires numériques », accouché en mai 2009 par la commission des lois du Sénat. En ligne de mire, l’hypermnésie d’Internet. « De la même façon que l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie ont transformé le rapport de l’homme à la mémoire, la numérisation et Internet créent les conditions d’une hypermnésie de nos sociétés ». En français parlé, trop de mémoire et pas assez d’oubli.
En pratique, comment faire pour effacer un cliché compromettant de votre gamin en train de picoler en soirée, ces vieilles histoires que votre ancien amant divulgue à tout va, ou effacer les photos très intimes que ce goujat s’est permis de publier sur le net ? La nageuse et championne Olymique, Laure Manaudou, en avait fait les frais…
Le 12 novembre, Alex Türk, président de la commission nationale informatique et liberté illustrait le propos dans les colonnes du Monde : « Je crois avoir montré mes fesses à la Saint-Nicolas, en 1969. Je ne le fais plus depuis. Et je n’aimerais pas que cela me poursuive encore ».
Pas gagné. Pas plus que lorsque Cécilia Attias, ex Sarkozy, était victime de rumeurs et qu’elle s’est efforcée d’effacer (voir encadré ci-dessous). Malgré ces deux rapports, seule une proposition de loi a été déposée, pour suggérer la suppression des données sur simple demande par courrier et l’information sur leur durée de conservation.
En attendant que le législateur trouve la parade à toutes ces questions, ce vide juridique crée un nouveau marché : celui des entreprises spécialisées dans l’effacement de vos traces numériques. Rien ne se perd…
Au printemps 2007, mille rumeurs bruissaient, des salons mondains aux forums internet, sur la prive privée de Cécilia, alors future ex de Nicolas Sarkozy. Dans tout ce déballage gratuit (et dénoncé à l’époque par Bakchich), pas une info vérifiée. Ni une possibilité, même pour Cécilia, de réagir face à la profusion des colportages.
Seul Marc Lévy, auquel le site lovemixbeat prêtait une liaison avec la dame, porta plainte, pour "atteintes à la vie privée et injures publiques". La procédure, menée par l’avocat William Bourdon, avait fini par aboutir à la condamnation du gérant du site internet à six mois de prison avec sursis et 5000 euros de dommages et intérêts.
En revanche, les traces de l’offense, elles, n’ont pas été effacées de la mémoire du Net.
Je ne sais pas si c’est très pertinent, mais au moment de la réunion de l’OTAN à Strasbourg, on avait fait un test en s’envoyant des mails "de terroristes" (contenant des mots-clés comme attentats, bombe, anarchiste…). Et seul numéricable n’avait pas transmis le mail. Alors qu’un mois plus tard, le même mail passait sans problème sur l’hébergeur. GMail affichait correctement le mail, tout en faisant une pub, pas très bien ciblée, pour Eurosport.
Ca ne fait guère de doute que les mails sont lus par des bots, c’est pourquoi si vous êtes soucieux de vos infos privées, ouvrez-vous une boîte mail à l’étranger, de préférence en Russie et chez un petit hébergeur (moins de chance d’avoir un bot multilingue).
Mais ça fait plaisir de voir que ces questions commencent à être posés par d’autres que les seuls informaticiens.