En disgrâce à l’Elysée, éreintée par une biographie non-autorisée, Rachida Dati connaît désormais le revers de la médaille politique.
En ce moment, il se dit et s’écrit beaucoup de choses à propos de Rachida Dati, la future ex-Garde du Grand sceau de France. Phénomène habituel, me direz-vous en faisant logiquement allusion à la somme impressionnante d’articles déjà publiés à son sujet sans compter tous les débats et polémiques qui ont entouré sa personne au cours de ces dernières années. Mais cette fois-ci, il ne s’agit plus de pipoleries destinées à divertir madame Germaine ou à faire bisquer ceux qui n’ont jamais admis que le gouvernement Sarkozy soit un peu plus coloré que ceux qui l’ont précédé.
Il y a d’abord le fait que Dati est manifestement tombée en disgrâce, obligée par le locataire du Palais de l’Elysée de se lancer dans la course aux européennes avec, à terme, la nécessité d’abandonner son ministère en cas d’élection (très probable) au parlement de Strasbourg. Cela faisait plusieurs mois que les gazettes annonçaient cette chute mais convenons que la sortie est moins brutale qu’il n’y paraît. Pour un membre d’une minorité visible, être numéro deux d’une liste d’un grand parti pour n’importe quel scrutin aurait été impensable il y a encore deux ans. Notons au passage que cela reste le cas pour d’autres formations politiques à commencer par les Verts dont on se demande s’ils savent réellement ce que signifie le mot diversité…
Dati ne sera donc plus ministre et cela semble ravir certains de ses anciens collègues. Revigorés par la disgrâce, les uns et les autres se lâchent sans réticence aucune lors de rencontres informelles ou de petits-déjeuners « off ». Tout y passe : le « bling-bling », le côté « show-off », l’incompétence, l’arrivisme, le sale caractère, l’humiliation de collaborateurs pourtant dévoués, le manque d’appétence pour les dossiers réels et l’obsession de la « com’ ». Et tout cela ne serait qu’aimables règlements de comptes entre petits camarades s’il n’y avait pas ce livre qui caracole déjà en tête des ventes [1].
Oeuvre de deux journalistes qui ont déjà livré une « enquête » à propos de Cecilia ex-Sarkozy, cette biographie non autorisée, et à charge, est dévastatrice pour l’image de Dati. Cette dernière apparaît sous les traits d’une Shéhérazade des cités qui aurait troqué son habit de Cosette pour celui d’une intrigante ambitieuse très vite transformée en tueuse au fur et à mesure de son ascension. Au fil des pages, se matérialise un parcours fait de mensonges, de manipulations, de flagorneries à l’égard des puissants, de mépris et d’ingratitude pour ceux qui ne le sont plus.
Truffé d’anecdotes, de compte-rendu de conversations saisissantes, ce livre est un torrent de violences. C’est une série d’uppercuts destinés à faire mal et dont a l’impression parfois qu’ils sont aussi le rendu de leur pièce à d’autres offenses commises par le sujet du livre mais dont il n’est pas clairement question. On pense notamment aux relations entre Dati et l’ex-première dame de France. Hier amies, aujourd’hui en froid, nous dit radio-trottoir.
La manière la plus logique de réagir à tout cela est de se dire que Rachida Dati a bien cherché, et mérité, ce qui lui arrive. Elle a voulu entrer à n’importe quel prix en Sarkozie, qu’elle ne vienne pas aujourd’hui pleurer parce que son étoile a pâli. Je connais beaucoup de gens, issus des minorités visibles, qui se réjouissent de la publication de ce livre, estimant que c’est un prix peu cher payé pour sa trahison.
De quelle trahison s’agit-il ? Oublions sa vie privée qui ne concerne qu’elle et essayons de vite passer sur les questions d’ordre politique. Après avoir courtisé la gauche, Dati s’est jetée dans les bras de la droite. Et alors ? Ils sont des milliers à l’avoir fait, et certains, toute honte bue, sont même devenus les étoiles montantes de l’entourage de Sarkozy. Dati a contribué à rendre familière l’idée que l’on peut être à la fois issue de l’immigration maghrébine et de droite. En ce qui me concerne, cela reste difficilement acceptable, même en prenant en compte les errements du Parti socialiste vis-à-vis des minorités visibles, mais, après tout, chacun fait son choix.
La « trahison » de Dati réside ailleurs. En intégrant les sommets de l’Etat, elle a sacrifié son devoir d’excellence à ses ambitions personnelles. Une « beurette » ministre - et pas n’importe quel ministre ! - signifiait une double charge. Celle d’être à la hauteur mais aussi celle de penser en permanence aux autres, à ces membres de minorités visibles qui essaient vaille que vaille d’avancer et de crever maints plafonds de verre. Loin de moi l’idée de dire qu’il fallait que Dati pistonne ou aide ces gens. Bien au contraire.
C’est en ayant un comportement irréprochable qu’elle aurait pu les aider. C’est en démontrant à la face de la France, de tout ce qu’elle compte comme esprits petits et chagrins, que l’on peut faire confiance « à ces gens-là ». En démontrant que lorsqu’on leur confie une responsabilité, il y a bien plus à gagner qu’à y perdre. Barack Obama a déclaré un jour que son élection à la tête de la revue de Harvard lui avait fait prendre conscience qu’il ne s’appartenait plus et que de son comportement dépendrait le sort de nombreux autres étudiants afro-américains. C’est cette règle simple, à la fois exigeante et altruiste, dont n’a jamais tenu compte Rachida Dati. Et il est évident que sa trajectoire, ses excès et ses déboires ne vont guère aider la cause de la diversité.
Son exemple est désormais l’argument pour ceux qui, ouvertement ou de manière plus sournoise, affirment que les minorités ne sont pas encore prêtes et capables d’assumer de hautes responsabilités qu’elles soient politiques ou non. D’un air navré, on évoquera une tendance au « pétage de plomb » ou à la « prise de grosse tête » le tout mâtiné de considérations sur les « volonté de revanche » qui nuiront forcément à la fonction.
Alors oui, les missiles des deux journalistes Darmon et Derai - en attendant d’autres pamphlets à venir - sont certainement porteurs de relents à la fois racistes et misogynes. Mais ce n’est pas pour cela que Dati est une cause à défendre. Elle a été l’artisane de sa débâcle et, de par ses choix et attitudes, elle a causé du tort à des idées et des engagements qui méritaient mieux.
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[1] Belle-Amie, Michaël Darmon et Yves Derai, Editions du Moment