Le procureur a requis la relaxe pour Siné dans l’affaire qui oppose le dessinateur à la Licra qui l’accuse d’incitation à la haine raciale. Nardo, l’un des crayons de bois les mieux taillés de « Bakchich », était au procès.
Quelques mots pour expliquer les dessins bordéliques, quoique dans l’ordre.
Mardi 27 janvier 2009, 6è chambre de presse du tribunal correctionnel de Lyon.
Après l’épiphénoménal procès Siné-Asko la semaine dernière c’était au tour du fond d’être jugé. La Licra s’étant pourvue partie civile dans l’affaire, c’est elle qui a tenté de convaincre le tribunal que la chronique du 2 juillet 2008 concernant Jean Sarkozy (celle qui a valu à Siné d’être viré) et une chronique antérieure (11 juin 2008) opportunément versée au dossier concernant les femmes voilées, étaient des incitations à la haine raciale.
Maurice Sinet, dit Siné, 80 ans, dépose en premier. La Licra fait témoigner BHL et Dominique Sopo de SOS racisme. Philippe Val, à la fois témoin et civilement responsable en tant que directeur de Charlie Hebdo où ont paru les chroniques incriminées, a le cul entre deux chaises mais soutient logiquement la plainte de la Licra.
Lors de son audition Siné déclare que dans le supermarché où il fait ses courses, on est presque « moitié-moitié », pour faire court, de musulmans religieux habillés de façon ostentatoire d’un côté et de gens en civil de l’autre. L’accusation s’en sert pour cuisiner Bedos qui en tant que témoin, n’a pas assisté aux débats avant son audition. Jakubowicz, avocat de la Licra, lui rapporte les propos de Siné (en ajoutant un IMMONDE « on n’est plus chez nous » censé traduire la pensée de l’auteur ! On croit rêver). Bedos se tourne vers son vieux pote : « -t’as dit ça Bob ? -Bah ouais. -Tu m’emmerdes… » Siné est aussi soutenu par un architecte, Marc Held, qui a une « part de judéïté, même s’il n’est pas QUE cela » comme il le dit lui-même, mais il témoigne à ce titre. Sid Ahmed Ghozali, ancien premier ministre algérien et musulman pratiquant, livre un émouvant témoignage d’amitié. D’autres témoins de la défense apportent un éclairage plus technique sur les questions de race ou de langue.
Au cours de son audition Val a récusé la formule « Bête et méchant » qui ne s’est jamais appliquée selon lui au Charlie Hebdo actuel. « Mais », ajoute-t-il vivement au cas où ces propos fuiteraient hors de la salle, « ça veut pas dire qu’on renie l’héritage de Cavanna ! » Cavanna devrait être content puisqu’il rappelait, il y a un mois, dans Charlie : « pourtant, en cet été 92, quand, dans l’enthousiasme, fut relancé Charlie Hebdo, l’accord était unanime, le propos clair et sans ambiguïté : l’esprit "bête et méchant" renaissait dans toute sa fougue, dans toute sa virulence, et s’interdisait, entre autres, toute complaisance envers quelque faction politique que ce fût. »
Siné, qui est venu à Lyon sans ses bouteilles d’oxygène, est obligé de retourner à Paris en urgence. L’audience se déroule sans lui. Le proc, qui réclame la relaxe, déplore que l’accusation ait utilisé des phrases hors-contexte, et « attendu Siné au tournant sur une vieille affaire ». En l’occurrence une émission en direct, tard dans la nuit, sur la radio libre Carbone 14. Siné, au lendemain de l’attentat de la rue des rosiers en 1982, s’y déclarait antisémite et tenait une série de propos proprement choquant pris au premier degré. Mais, font remarquer plusieurs témoins, il manque le son et le ton. Concernant les chroniques elles-mêmes, le procureur estime qu’étant publiées dans un journal satirique il n’y a pas de quoi fouetter un chat et qu’on se situe plutôt sur le terrain de l’outrage -la chronique accuse la justice de racisme- et de la diffamation, Siné suggérant que Jean Sarkozy se marie par intérêt et non par amour. Mais en l’espèce, ce ne sont pas ces chefs d’accusation qui ont été retenus : fermez le ban. Verdict le 24 février.
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