À l’occasion du concert du Wu-Tang Clan, mythe du hip hop américain, le 17 juillet dernier, "Bakchich" est parti interviewer le chef de file du groupe, le grand RZA. Rencontre esotérique avec un rappeur illustre qui se révèle être un véritable théologien.
Dans un hôtel chic-toc du 11ème parisien qui pue le fric autant que l’artifice, mannequins destituées et vieux beaux millionnaires, deux bakchichiens font forcément tâche.
On attend RZA, alias Prince Rakeem, le chef de file du Wu-Tang Clan, une paire d’heures avant l’unique concert du groupe à l’Élysée Montmartre.
Mais alors que la caméra, prête à démarrer, faisait déjà rugir sa batterie, le messager du Wu-Tang vient annoncer qu’il est impossible de filmer. RZA doit se faire coiffer, pas question qu’il apparaisse à l’écran avec des cheveux en petite tenue. À la bonne heure ! En plus d’une interview, voilà que la chance nous est donnée d’assister à une séance de tresses afro.
Dans sa chambre où a lieu l’interview, RZA s’installe auprès de sa coiffeuse. La conversation commence à peine que déjà le sèche cheveux nous interrompt. Puis c’est au tour de la coiffeuse, « do you want it plain or with patterns ? » (NRD, Tu les veux simples ou avec des motifs ?) , demande la traductrice pour la coiffeuse, en parlant des tresses qui devront dessiner sur le crâne des motifs simples ou fantaisistes. « Do it half plain, mama » (NDR : fais les moitié simples, mama) , répond le rappeur.
Sa simplicité et sa tranquillité surprennent et rassurent, on s’enhardit : ses convictions religieuses ? RZA est fasciné par la culture asiatique, grand adepte de Qi gong, il travaille avec des moines shaolins, a lu Confucius et les textes fondateurs de l’hindouisme et du bouddhisme. « I don’t belong to any religion, I live Islam, I live my life. » (Je n’appartiens à aucune religion, je vis l’Islam, je vis ma vie). Évidemment, la question n’était pas innocente. À la lecture de quelques recherches, il s’est avéré qu’une grande partie des rappeurs du Wu-Tang font partie d’un courant de pensée, la « Nation of Gods and Earths » appelé communément la Nation des Cinq pour cent. Une dissidence de la Nation of Islam. Difficile de comprendre réellement de quoi il s’agit.
En bref, les membres de la nation des 5% se considèrent comme leur propre dieu, de manière à la fois collective et individuelle. Les êtres humains se diviseraient en trois groupes, 85% constituerait la masse ignorante et sourde aux vérités du monde, 10% serait ceux qui connaissent en grande partie la vérité mais qui usent de ce pouvoir pour dominer les 85% d’ignorants. Reste alors 5% que seraient les être divins et illuminés, puisqu’ils se sont saisis de la connaissance de la vérité, ceux-là chercheront à libérer les 85% grâce à l’éducation. Si ce courant semble très différent de l’Islam, lequel juge ses principes hérétiques, leurs racines et leurs références sont en grande partie communes. Pour autant, il se défend d’être une religion puisque ses membres ne se soumettent à aucun dieu, si ce n’est eux-mêmes.
La question brûle : le rappeur se considère t-il comme faisant partie de ce faible pourcentage d’élus ? Hésitation, dérobade, oui et non. Mais sa conception du hip hop est révélatrice, faire passer un message, éclairer la communauté afro-américaine. Les paroles de ses chansons comme celles des autres rappeurs regorgent de références à la doctrine des 5%, RZA travaille sur ses paroles comme un prêtre sur son sermon, « tu peux prendre chaque phrase de mes chansons, chacune comporte une substance profonde et est une véritable parabole. » Chaque homme doit trouver le « self » (soi-même), son propre dieu, derrière les paroles de ses morceaux, se cache une invitation à l’introspection pour les auditeurs. Tout à coup, on n’entend plus que les doigts de la « mama » dans les cheveux de RZA et le fond de musique Rn’B, l’heure passe.
Et Barack Obama ? Même si RZA ne donne pas dans la politique, il pense qu’Obama pourrait changer la face de l’Amérique et celle des Américains. En tout cas, bien plus que Mac Cain qui ne fera qu’enfoncer le pays dans ses troubles, critique au passage de la situation en Afghanistan et en Irak. Obama, s’il ne révolutionne pas le cours de la vie américaine, restera un symbole, un espoir, pour les communautés des États-Unis autres qu’anglo-saxonnes.
Sur ces mots la coiffure est prête, l’interview se clôt. Adieu sèche cheveux, peigne et micro. Sur la scène de l’Élysée Montmartre ce soir, on retrouvera RZA avec le Wu-Tang, agressif et ostentatoire comme un rappeur bling bling, les innombrables bagues aux doigts brillantes et le verbe acéré. Le public excité et aveugle, ignore qu’il y a devant lui, parmi la dizaine de rappeurs du Wu, un prêcheur des temps modernes.
Fondé au milieu des années 90, le Wu-Tang Clan est un groupe de hip hop américain originaire de la côte Est (New York), qui comptait à l’origine 9 membres, dont le noyau central, RZA (Prince Rakeem), GZA (The Genius), et Ol’ Dirty Bastard (décédé en 2004 suite à une forte consommation de stupéfiants). Une dizaine d’autres rappeurs graviteront autour, les Killa Beez. Le groupe s’est progressivement imposé sur la scène du hip hop américain dominée jusqu’alors par le hip hop « West coast ». Leur premier album « Enter the Wu-Tang (36 Chambers) » (© Loud Records) paraît en novembre 1993, un nouvel album « Wu-Tang Forever » assoit définitivement le Wu-Tang sur le socle du hip hop. RZA au commande, une marque de vêtements est lancée, ainsi que diverses sociétés de production. Les prochaines productions seront plus décevantes, et c’est en 2007 que sort « 8 Diagrams », qui relance le groupe.
Super sujet !!!
Effectivement je pense que, disons 85%, des amateurs de RZA ne connaissent pas cette facette du personnage, moi le premier. Je suis ravi de découvrir que le Hip Hop a pu créer une grille de réflexion globale innovante, peut être trop schématique ( ?) mais extrêmement rafraîchissante ! Et je n’ai pas pu m’empêcher de repenser au titre d’un de ses albums : "The world according to RZA" - Faut que je le réécoute !!
Y a t-il des ouvrages, des articles ou des vidéos qui abordent cette philosophie des 5% ? Est-elle répandue - "The world according…" fait intervenir une ribambelle de rappeurs français, allemands, brésiliens etc ?
Pour info,la "5% nation" est inexistante en france.Pas mal de Groupe d’outre-atlantique se revendiquent (ou se revendiquaient) de la "5%",comme la légende vivante Rakim,par exemple.Cela dit,leur philosophie est assez complexe,et parfois un peu caricaturale et simpliste sous des aspects faussement "super réfléchis".
Pour le reste,je n’irais pas jusqu’à dire qu’il faut être une sacré buse pour ne pas avoir vu cet aspect de RZA - si on devait faire gaffe aux textes de tous les MC ricains… - ,mais ses interventions,en tant que second rôle/figurant aussi que musicales dans "ghost dog",ainsi que les visuels et le nom de son groupe principal (il officiait aussi au sein du groupe Gravediggaz) auraient dû vous mettre sur la voie. ;)
Bonjour,
j’apprécie la musique de RZA et je crois en l’illumination mais je ne pense pas que RZA fasse partie des êtres ayant atteint l’illumination, sinon il irait vivre loin des fastes de la scène et du monde des apparences.
"excité et aveugle"
Une partie du public, peut être ne sommes nous que 5%, je ne sais pas, sait quand même qui il va voir sur scène. Pour ne pas réaliser que The Rza, The Gza et consorts versent dans un trip shaolino-mystique depuis une quinzaine d’année il faut vraiment, soit faire partie de la classe profonde des 85%, soit ne pas écouter attentivement leurs CDs. Une partie du public peut même aller jusqu’à réaliser que ce discours n’est pas toujours en phase avec le comportement du Wu-Tang, loin de là. J’entends par là qu’une partie du public est (ou se juge) capable d’appréhender cette dimension ésotérique sans pour autant y adhérer, tout en appréciant la musique et l’énergie dégagée sur scène.
Merci pour votre article car il n’y en a que trop peu à ce sujet ; mais je me devais de réagir à ce que j’ai considéré peut être à tort comme étant de la condescendance.
2 ans après, j interviens..
Oui oui en effet ce n est pas parce que les deux reporters ne connaissant pas le Wu que tout le public doit etre excite et aveugle et ne connaissent pas le message et la pensée du clan.