Un rapport commandé au Centre d’analyse stratégique par la secrétaire d’Etat à la prospective promeut une politique en faveur de la "santé mentale positive". Angoissant.
On connaissait la santé mentale, il va désormais falloir compter avec la "santé mentale positive". Un bien plaisant concept au cœur du rapport [1] commandé au Centre d’analyse stratégique par Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat à la prospective.
Inscrite dans le sillage du rapport Stiglitz qui recommandait aux économistes de ne pas juger le développement économique d’un pays à l’aune de son PIB mais de s’intéresser également au « bien-être » des populations, l’étude dirigée par la psychiatre Vivianne Kovess-Marty a décidé d’importer du Canada cette notion censée servir d’aiguillon aux politiques.
En prônant "la santé mentale positive" le rapport suggère que les politiques publiques ne devraient plus seulement prévenir et soigner les troubles mentaux (schizophrénie, dépressions graves, démence…) comme le fait actuellement le plan santé mentale, mais également œuvrer à l’épanouissement personnel de tout un chacun. Tout un programme.
On y apprend donc qu’en dehors des pathologies mentales proprement dites, le mal-être ou, du moins, le fait de ne pas être totalement épanoui coûte cher à la société. Selon la commission européenne, citée par le rapport, grincheux, taciturnes et autre inquiets représentent « une perte pour les collectivités…de 3% à 4% du PIB ». Fichtre.
Et le rapport d’énumérer la liste des maux causés par ces peine-à-jouir : « Perte de productivité pour le système économique, (…) dépendance de long terme à l’Etat providence, … troubles de l’apprentissage et du comportement qui surviennent durant l’enfance et entraînent des dépenses pour le système social, éducatif, pénal et judiciaire ».
Avant de conclure, martial : « L’ensemble de ces difficultés légitiment une « riposte "coordonnée". Pour être encore plus précis, le rapport souligne qu’« Un enfant qui présente des troubles de la conduite coûterait, à terme, sept fois plus à la collectivité que celui qui n’en présente pas ». Il faut donc attaquer au plus vite le mal(-être) à la racine.
Or, dans cette entreprise ardue de faire accéder le plus grand nombre à la « santé mentale positive », nos amis canadiens, cités en exemple par le rapport, ont quelques longueurs d’avance. Leur ministère de la Santé a même défini précisément le concept comme un « sentiment positif de bien-être émotionnel et spirituel qui respecte l’importance de la culture, de l’équité, de la justice sociale, des interactions et de la dignité personnelle » …
C’est tellement beau qu’on dirait du Raël dans le texte… En guise de « best practices » à exporter de toute urgence, le rapport s’attarde sur quelques initiatives canadiennes qui permettent de dresser au bonheur dès le plus jeune âge. Ainsi Roots of empathy, « programme à destination des écoles primaires qui vise à augmenter la capacité d’empathie des enfants en favorisant une culture davantage tournée vers la sollicitude ».
Mais aussi celui destiné à l’entreprise « préconisant une culture tournée vers l’engagement des salariés et la de-stratification des paliers de gestion »… Avec ça, on imagine sans peine que la béatitude mentale est assurée.
Sans surprise la pratique du sport est chaudement recommandée par les rapporteurs alors que la tabagisme est évidemment un signe de déviance à la positive attitude d’Etat.
Le bonheur : un canadien en short qui sortant de son footing cultive ses « compétences parentales » et travaille à améliorer sa « sollicitude ».
Si NKM n’a pas vraiment précisé les suites qu’elles entendait donner à ce rapport, elle a au moins déjà réussi à nous foutre les jetons.
[1] La santé mentale, l’affaire de tous. Pour une approche cohérente de la qualité de vie. Centre d’analyse stratégique, novembre 2009.