Romancier et poète, Frédéric Musso publie "L’Imparfait du fugitif", un recueil qui explore le lien entre mots et réel. De son côté, l’historien Claude Mossé mêle rigueur des événements et imaginaire dans "Le Secret de Mozart".
"Vodka. Cuite à percussion centrale. Un brin de néant sur les lèvres tu écoutes les mailleurs d’avenir et leurs mots qui dépassent. Toi le porteur de valise du réel tu attends le chant d’un grillon. Gelé. Rond comme une goutte d’eau sur une feuille de magnolia." Un homme qui écrit cela ne saurait être fondamentalement mauvais, bien que ses « éléments de langage » soient peu utiles à l’ascension du CAC.
Frédéric Musso n’a pas écrit L’Imparfait du fugitif pour faire la fortune du groupe La Table Ronde, mais pour l’estime de soi et des autres. Un droit d’hauteur de chatouiller les vieilles cordes, de faire sortir, avec risque d’infarctus, une sensibilité qui, par les temps qui courent, est priée de rester planquée sous le tapis. Parfois, les vapeurs d’alcool se regroupant en montgolfière, elles emportent des types comme Musso là où la main de l’homme n’a jamais mis le pied. À l’atterrissage, ça donne un bien beau livre.
Au XXe siècle, existait encore, sur France Inter, "Le Club des poètes". Il a disparu. Bien sûr, il était un peu ridicule de voir des jeunes gens en fièvre déclamer dans un restaurant- club devant des nappes en Vichy. Ne riez pas. Dans ce cimetière, nous assistions à la mort des mots, ceux écrits sans y penser. Maintenant, la poésie campe dans la cabane du Lion de Maurice Lévy, à Publicis. Et l’émotion de ses rédacteurs, si mal armés, s’investit donc dans « Choisissez bien. Choisissez But ».
Restent quelques aborigènes comme Musso qui publient de la poésie, ce que la littérature a dans l’estomac : peu de mots décapés au suc et livrés sans mode d’emploi. Si cet homme des Cévennes parle souvent de port et de mer, de maisons ou vertes ou closes, c’est qu’il n’est jamais revenu de l’Atlantide, l’Algérie de son enfance : « Comme je m’aperçus un jour qu’on ne peut brûler ce qu’on a adoré et n’en garder que le diamant parce que le carbone ne laisse pas de cendres, je compris que trop de choses me liaient à mon pays pour que je puisse le considérer comme englouti. »
L’apprentissage des récitations n’étant plus un impératif à l’école, le vol de gerfauts ne quitte plus son charnier natal. Éluard, Char ou Aragon, ces tables de multiplication de nos rêves, sont oubliés avant que d’être vieux. Avouons que nous n’avons rien fait pour sauver les poètes de la noyade. Ouvrir L’Imparfait du fugitif, c’est retirer un vieux bouchon du conduit de cheminée, qui empêchait le tirage, nos branchies du cœur de respirer.
Restent nos oreilles, qu’il faut soigner. Contrairement à Alphonse Allais, Claude Mossé ne possède pas, dans son musée, le crâne de Mozart enfant. À défaut de boîte crânienne, Mossé ouvre, dans Le Secret de Mozart, sa boîte à malices. Nous pénétrons, non plus dans l’âme mais dans le potager des Français : les livres d’histoire.
Au moment d’un Salon du livre un peu gris, les éditeurs le disent, leur salut est dans la fuite à Varennes, dans notre passé débité en pages. Ces volumes rappellent que nous fûmes grands, fourbes, généreux, audacieux, dégoûtants, parfois pornographiques et même que nous gagnâmes des guerres avant celle de la taxe carbone.
Mossé, déformation professionnelle oblige, est devenu, à force de conquérir des lignes, Maginot ou imaginaires, un grand reporter du temps. Tricotant le savant pour en faire du populaire, au sens Vilar. Il m’épate, une fois de plus, avec ce Mozart. Il place sur son réchaud enchanté les cours de Versailles, de Vienne ou de Leipzig. De la recette, surnagent Cagliostro, Marie-Antoinette, Louis XVI, La Fayette, et Fersen. Sa comédie humaine autour de Mozart, avec l’incroyable secret qui touche, à la fin et pour de vrai, notre République au cœur de ses tripes, il la sert à nu comme les coquilles Saint-Jacques chez Marc Meneau, prince de Vézelay. Le divin Mozart, pourtant lui aussi très cru, est le lien de soie de la farandole de cette histoire où le faux sonne comme la musique du vrai, pour s’achever en Marseillaise.
L’Imparfait du fugitif, par Frédéric Musso, éd. La Table ronde, 91 pages, 14 euros.
Le Secret de Mozart, par Claude Mossé, éd. Alphée, 314 pages, 21 euros.