Dans « Vous êtes sur la liste ? Enquête sur la tyrannie des branchés » publié aux éditions du Moment, Arnaud Sagnard mène l’enquête sur la communauté hype. Autour de l’idée saine de « ne pas faire comme les autres » s’est formé un ersatz de mouvement d’un niveau proche de zéro.
Journaliste dans un magazine branché, GQ, Arnaud Sagnard, jeune homme tout aussi branché, a commis l’irréparable : s’en prendre à ses co-religionnaires. Son livre Vous êtes sur la liste ? Enquête sur la tyrannie des branchés risque de le griller à l’entrer des clubs chics, des vernissages incontournables et des private parties où il faut être. Il dresse en effet un panorama impitoyable de cette caste que l’on savait grégaire et sectaire, que l’on découvre suiviste, moutonnière, voire confondante de bêtise. Et ça, c’est impardonnable.
Comme l’auteur du livre, on ne résiste pas à republier un extrait de l’interview réalisée par un magazine branché, Jalouse, d’un groupe de folk-pop de barbus tout aussi branchés. Olympia Le Tan interroge (si l’on peut dire) Herman Dune. Du vrai langage branché :
Elle : « Vous êtes contents d’être à Cannes ?
Eux : Super. On a fait un tour sur la plage, c’était un peu sale mais plutôt agréable (…)
Elle : J’ai appelé votre producteur, Philippe Ascoli, pour qu’il me briefe un peu ! J’aime bien en savoir plus que les autres avant d’arriver…
Eux : Alors ? Qu’est-ce qu’il a dit de nous ?
Elle : Vous êtes très sympa ! (…)
Elle : Quel est votre groupe préféré ?
Eux : Les Dixie Cups.
Elle : J’adore. »
Confondant.
Un peu fouillis et n’échappant pas à l’incontournable name-dropping du milieu, histoire pour l’auteur de montrer qu’il sait où il met les pieds, le livre détaille les ressorts qui font bouger les membres de cette espèce curieuse. Le branché veut s’affranchir des normes que la société lui impose au quotidien – et en cela il acquiert toute notre sympathie. « Plutôt que de se contenter d’une position de “récepteur”, il souhaite devenir un “émetteur” ». Cela crée une identité spécifique, qu’il faut tenter de préserver à tout prix. Le branché se doit d’entrer en doublant la file dans un club très recherché. Mais que se passe-t-il quand, comme pour le 10ème anniversaire du magasin culte Colette, la quasi-totalité de la branchitude parisienne est invitée ? Les branchés peuvent-ils passer sous le nez d’autres branchés pour pénétrer les premiers à la Scala, la boîte parisienne quasi-ressuscitée pour l’occasion ? Non, il a bien fallu faire la queue, comme tout un chacun. Ridicule et impensable en une autre occasion.
Abandon de l’authenticité, disparition des critères artistiques, cynisme, sectarisme, ségrégation, éphémère, globalisation, recyclage et marchandisation, tels sont les principaux marqueurs de la tribu des branchés. Réjouissant ! Il faut se souvenir des mots de Gilles Deleuze (Deux régimes de fous, éditions de Minuit) visant l’avènement d’une « entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d’une “paix” non moins terrible, avec organisation concertée de toutes les petites peurs, de toutes les petites angoisses qui font de nous autant de micro-fascistes, chargés d’étouffer chaque chose, chaque visage, chaque parole un peu forte, dans sa rue, son quartier, sa salle de cinéma ».
Pour les wanna be, car il y en a, qui partent en vacances, un seul conseil : le branché ne porte pas de short pendant les vacances mais se balade comme s’il sortait à une fête hype. Et n’emporte quasiment pas de bagages.