Depuis le départ couteux (950.000 euros d’indemnités) de Jean-Marie Colombani, le quotidien de référence a le plus grand mal à se défaire de l’héritage laissé par les barons du « Monde ». Finances en berne, flou éditorial, privilèges… Alors que le journal doit publier ce lundi 5 mai une double page (dont la moitié à la disposition de la rédaction) consacrée à la crise, « Bakchich » fait le point.
Le Monde est dans l’impasse. Le CE convoqué mercredi 30 avril n’a rien donné, les syndicats ont refusé d’aborder le volet social, les salariés s’estimant insuffisamment informés sur le volet économique du plan. Prochain CE le 13 mai. D’ici là, le bras de fer continue. La direction occupe l’espace médiatique et affirme que le plan de redressement, contre lequel les salariés protestent et qui prévoit le départ de 129 personnes, était prévu depuis longue date et que même la Société des Rédacteurs du Monde (SRM) l’avait approuvé (Les Echos du 29 avril). Que nenni ! Si, à la lumière des pertes colossales du journal (exercice déficitaire depuis 7 ans, 15 millions d’euros de pertes en 2007) tous s’accordent sur la nécessité d’un plan d’économies, c’est sur les modalités que ça coince. 129 personnes, dont 89 à la rédaction, ça ne passe pas. D’autant plus que si on en sait un peu plus sur les services touchés par le plan, c’est toujours l’inconnu quant aux noms des partants. Ambiance !
Heureusement, Eric Fottorino, président du directoire du groupe, et David Guiraud, directeur général, mettent beaucoup de bonne volonté. Ainsi ont-ils accepté des salaires plus que réduits pour sauver le journal. Fottorino a montré l’exemple en acceptant un salaire brut annuel de 135.000 euros. Un petit salaire augmenté de 100.000 euros au 1er février 2008, puis de 50.000 euros au 1er juillet 2008, et enfin de 15 000 euros au 1er janvier 2009, soit au total 300.000 euros. De son côté, David Guiraud, directeur général du groupe, a consenti un salaire de 400.000 euros brut annuel (contre 500.000 aux Echos). A cela il faut ajouter un parachute en cas de licenciement de 400.000 euros si celui-ci intervient dans les six premiers mois, et 800.000 après (un basculement qui interviendra le 18 août 2008). Un parachute qu’il n’avait pas négocié aux Echos… Bis repetita non placent ! Des efforts donc, disait-on.
Mais il n’y a pas que la direction qui pourrait revoir ses conditions d’exercice. La rédaction, elle aussi a besoin de se réformer. D’ailleurs, le règne d’une certaine baronnie fait grincer beaucoup de dents. Promotion, glande, vacances, arrêt maladie… Rien ne va plus ! Quelques exemples au sein de la rédaction font jaser. Pour calmer les râleurs, et montrer que le plan « n’épargnera aucun étage », la direction a annoncé que les postes de Fabrice Nora et Patrick Collard, respectivement directeur délégué au groupe Le Monde et directeur général délégué de la société éditrice du Monde, seront supprimés.
Si compliquée soit-elle, la situation aurait gagné en clarté si les syndicats ne jouaient pas un jeu dangereux. En effet, si la direction trouve devant elle un front syndical uni, les choses ne sont pas si nettes. La CGT qui défend officiellement une position dure est divisée en son sein. Ainsi la CGT Infocom qui rassemble d’anciens ouvriers du livre dont certains devenus SR, la joue plus souple, pour la simple et bonne raison que les salariés qu’elle défend ne seraient pas concernés par le plan de départ… Une garantie obtenue par Colombani et confirmée par Fottorino. Inutile de dire que pour les journalistes sur qui pèse la menace d’un départ contraint, ces « protégés » n’ont pas vraiment la cote…
Si le mouvement échoue, c’est le bon Lagardère qui risque d’en profiter. Ce dernier, comme l’avait raconté Bakchich est sur le rang pour grimper dans le capital. Une perspective qui, semble-t-il, ne plaît à personne sauf à lui. Dans une lettre adressée vendredi 2 mai (publié en intégralité par Bakchich) à ses mandants la Société des Rédacteurs du Monde (SRM) demande une réunion d’urgence du conseil de surveillance en dénonçant au passage « l’extrême rudesse de ces mesures qui font des personnels le bouc-émissaire de la mauvaise gestion passée ». De son côté Eric Fottorino devrait envoyer ce lundi 5 mai une lettre aux personnels du groupe. Une façon pour lui de passer par dessus les syndicats.
A la question : « Que pensez-vous de votre successeur à la tête du Monde ? », Jean-Marie Colombani déclarait il y a peu : « Il est édité chez Gallimard, je vous le recommande ». Ça fait toujours plaisir…
M. Piel est tombé dans une bonne intox !
Je cite : "La CGT Infocom qui rassemble d’anciens ouvriers du livre dont certains devenus SR, la joue plus souple, pour la simple et bonne raison que les salariés qu’elle défend ne seraient pas concernés par le plan de départ… Une garantie obtenue par Colombani et confirmée par Fottorino. Inutile de dire que pour les journalistes sur qui pèse la menace d’un départ contraint, ces « protégés » n’ont pas vraiment la cote…"
Foutaises de pisse-copie ! Maintenant si vous avez des informations sur les critères de licenciements de la direction, soyez sûr que tout "Le Monde" sera intéressé ! Fais ton job va sur le terrain !
Je ne sais d’où vous tenez vos chiffres mais ils me semblent fantaisistes.
1) Dans les années 60-70, Le Monde était un journal en un seul cahier, sans supplément "attrape-pub" ; La division en cahiers est venue avec le supplément Radio-TV à partir de 1986 ou 87 ; Les cahiers se sont multipliés à partir de 1989 quand Le Monde a commencé d’être imprimé sur ses nouvelles rotatives ; Sont alors apparus des suppléments dont la seule justification était la rentabilité publicitaire (suppléments Mode, Voyage, Montres, Fêtes de fin d’année…)
2) La suppression du Monde2 en tant que titre autonome, pour en faire un magazine de fin de semaine à la vente forcée, a accéléré ce processus. Est ensuite venue la promotion de "produits plus" pour couronner cette politique éditoriale qui transforme le contenu rédactionnel en "porteur de pub".
3) La manipulation des chiffres doit être faite avec précaution : la part de la pub dans le chiffre d’affaires est aussi fonction du niveau des dépenses publicitaires dans la période. Il n’en reste pas moins que Le Monde est bien plus dépendant de la publicité aujourd’hui que dans les années 60 ou 70.
Par ailleurs, il serait instructif de mesurer la surface prise par les articles dans un Monde de 32 pages des années 60-70 et d’un Monde de 40 pages d’aujourd’hui. Je suis souvent frappé par la place prise à la "une" par la photo racoleuse et inutile, les accroches pour un supplément, la pub… le tout noyé dans des blancs qui ont soi-disant pour fonction d’aérer la "une" (au risque de nous lessiver le cerveau par le courant d’air qu’ils provoquent !)
La vigie
Je persiste :
1) Puisque vous êtes encore en activité, vous êtes lecteur du Monde depuis bien moins longtemps que moi. Le Monde de Beuve puis de Fauvet était bien différent de celui d’aujourd’hui. Je note que vous ne répondez pas sur mon dernier alinéa concernant la masse d’informations qu’on y trouvait à l’époque et aujourd’hui. Si vous en avez les moyens, je vous mets au défi de me dire combien de signes étaient imprimés dans un journal de 32 pages des années 60 et combien en compte un journal de 40 pages aujourd’hui.
2) La proportion ne dit rien de ce qu’elle recouvre. L’entreprise Monde des années 60 vivait sur un pied plutôt austère. Que valent vos 20% quand il faut payer le loyer du siège pharaonique où je me rends parfois puisque la "boutique" s’y trouve ?
3) Répondant à votre invitation, j’ai regardé quelques numéros du journal datant de mes années d’étudiant. Je ne peux que vous donner ce témoignage : à l’époque, la publicité n’étouffait pas les pages. Je me souviens de propos de M. Fontaine, votre directeur à la fin des années 80, louant l’arrivée de la couleur pour mieux présenter les infographies. Cela arrive, certes, mais c’est d’abord la publicité qui utilise la quadrichromie.
En conclusion de cet échange, je ne suis ni nostalgique ni naïf. Je pense simplement que ce qui fait vivre un journal, c’est d’une part le génie et la mobilisation de son équipe, et d’autre part la satisfaction qu’en tire ses lecteurs. La publicité vient parce que le journal est bon et reconnu comme tel. L’inverse n’a jamais été vérifié.
La vigie
Le Monde sert grosso modo la même propagande libéro atlantiste que TF1, il ne s’adresse pas à la même population, c la différence. Plutôt que TF1, ça serait donc LCI l’équivalent télévisuel du Monde (ou itélé, un peu plus djeun’s chébran, mais qui patauge dans la même boue).
Toujours est-il que ça fout les boules de voir ce journal sombrer, vis à vis de son histoire et aussi vis à vis de ce qu’il est, à savoir une entreprise avec quand même pas mal de moyen pour informer.
On ne peut pas se réjouir de sa déroute, car c’est aussi un fleuron honorable de la presse française qui devient un vulgaire journal de propagande.
Regardez ce qu’est devenu canal+, une vraie daube, avec ça et là des survivances (zapping, groland, guignols) de ce qu’était l’esprit canal, mais qui ne sont plus que des îlots d’impertinences dans un océans de révérence aux puissants et de mépris des modestes.
Car c’est finalement, la tendance, l’enjeu, l’objectif de réduire l’irrévérence, l’impertinence, l’information vraie et la diversité de l’analyse de l’espace public pour la reléguer dans des ghettos. Le web accueille ces réfugiés de l’info, mais qu’on ne s’y trompe pas, de la même manière qu’on vide les centres villes des pauvres, on vide les grands médias de ce qu’ils présentaient encore de diversité nécessaire à une construction intellectuelle saine. Le déclin du Monde est une nouvelle démonstration du putch libéral qui sévit en France.
C’est vrai que Le Monde est tombé bien bas, et depuis longtemps. Quand on lit les éditos néo-thatchériens de M. Eric Le Boucher, comment voir dans ce journal autre chose que la Voix de Son Maître ? Et les mini-articles économiques de la chronique « Breakingviews » sont eux aussi un modèle de désinformation et de propagande néo-libérale (l’éloge des paradis fiscaux, il fallait quand même y penser !).
Le Monde a suivi le destin de la plupart des journalistes de la presse écrite : grisés par leur pouvoir à partir des années 80, ils se sont pris pour des stars. Dès lors, ce n’était plus le travail d’analyse et d’enquête qui comptait, mais la célébrité, le copinage, la proximité avec les puissants, l’art de renvoyer l’ascenseur. Les articles n’ont plus servi qu’à boucher les trous entre les pubs, et les annonceurs sont devenus les vrais patrons. On connaît la suite.
La seule solution, pour Le Monde, c’est de renouer avec la rigueur, voire l’austérité des années Beuve-Méry. Des valeurs bien peu à la mode, mais qui n’en sont que plus précieuses. Dommage que Jean-Michel Dumay ait dû abandonner son siège au directoire. Ça c’est un vrai journaliste : combatif (c’est lui qui a viré Minc), rigoureux (il a su démonter l’usine à gaz financière mise au point par Minc et Colombani) et modeste. Ah oui, et sachant écrire, aussi. S’il y avait davantage de gens comme lui au staff et à la direction du Monde, ce journal n’aurait pas de soucis à se faire…