« Lavis Noir », c’est un feuilleton parisien. C’est l’histoire de Loïc et Josy, les amants du Pont d’la Butte. Y a de l’action, de la morale et du cul. Il y a surtout une formidable intrigue policière et un suspens haletant. Ce qui est bien le moins pour un feuilleton. Et c’est aussi une galerie de personnages - Miche la Gratouille, Toussaint l’Haïtien, Fabio le Calabrais…- qui vous feront vibrer tout au long de l’été. Aujourd’hui, les épisodes 13 et 14.
Vlad était, comme Loïc d’ailleurs, un rescapé d’la première vague punk, celle des puros, qui s’était bien vite délitée dans l’trou des halles, ou noyée dans la Fontaine des Innocents. Si Lekervelec avait su opérer une conversion surprenante, abandonnant l’épingle à nourrice pour l’anneau d’Corto et les Doc coquées pour d’la Parabout ourlée, Vlad, lui était resté plus attaché à certains poncifs punky, et il continuait d’arborer une crête orange sale, un perfecto à col rouge et un slim trop court, troué et délavé, preuve, qu’au moins il avait été lavé ! Et s’il ne se baladait plus avec René, son rat blanc, c’est que ce dernier avait été bouffé en sukiyaki par Hiro son coloc japonais, un soir de blues arrosé au saké tiède. D’une manière générale, les journées de Vlad, bien que sans règles excessives, s’articulaient autour de trois moments essentiels et fortement interdépendants : boire, dealer et boire. Il avait arrêté la dope après un fix douteux qui l’avait laissé trois jours en réa à Lariboisière, et se contentait de vendre, raisonnablement et le plus honnêtement possible, le shit à Loïc et la ganja des antillais de la Place Clichy, à une clientèle de musicos à la ramasse, qui zonaient plus ou moins autour de Montmartre. Faut dire, que son look en faisait le dealer le moins discret du 18ème, et qu’il avait plutôt intérêt à gérer un fond d’clientèle pas trop regardant sur l’extravagance du fournisseur ! La chanteuse, jolie brunette d’origine portos, et qui avait eu son heure de gloire sur un malentendu, était sa plus grosse cliente, et pour elle il ne coupait jamais la came à Loïc, vu qu’il la taxait un maximum, et qu’elle ne discutait jamais l’prix. Faut dire qu’elle était quasiment vapée du matin au soir, sa traversée du désert commençant à lui peser… Un jour, tellement elle était défoncée, elle offrit même à Vlad de le payer en nature, pipe à la bière ou on the rock’s, au choix ; le crestman n’étant pas porté sur la chose, et étant, de plus, d’une fidélité exemplaire à sa punkette à tartan, il déclina la propal. En plus il avait besoin d’thunes urgemment, vu qu’sa provision de Kro commençait à dangereusement baisser : il ne lui restait plus que douze packs de six… Vlad était un punk avisé et prévoyant, ce qui ne manquait pas de rassurer toute une frange de ses chalands, dont les propres débordements suffisaient à leurs angoisses.
Ce jour là, la chanteuse, qui s’appelait Elo, ne proposa pas de paiement fantoche à Vlad ; pour autant, sa situation ne brillait pas par l’opulence. Son dernier chèque de la SACEM flirtait ridiculement avec la centaine de petits francs, et son prochain concert, prévu au Bataclan, avait été annulé par ce « fumier de Touitou « au prétexte, fallacieux selon elle, qu’il n’y avait que 8 réservations. Elo était en train de toucher le fond, sérieux. C’est pourquoi elle se décida, bien qu’il lui en fût crève-cœur, à proposer à la vente quelques vestiges du temps de sa splendeur. Depuis qu’elle était à Montmartre, en particulier, elle s’était fait refiler tout un tas de petits formats, études ou esquisses, arrivage direct et discret, lui avait affirmé le malfaisant qui l’avait accrochée, d’une malle rescapée de l’incendie du Bateau Lavoir, en 70… Elo, naïve, pas encore affranchie mais déjà friquée, acheta un lot complet de dessins, qui, selon le fourgue, constituaient un placement plus sûr que des Bons du Trésor et plus rémunérateur que des actions des Caoutchoucs de Padang ! Il avait simplement un peu omis d’lui fournir les certificats d’authenticité et d’origine des chefs-d’œuvre en question, c’qui fait que sans être vraiment du malhonnête, ses belles images, ça ressemblait quand même un peu à du recel ou à du faux et trafic de faux. Au choix. Ou les deux, aussi, peut-être. Une seule pièce avait paru authentique à sa vieille copine Miche - « Miche, dite la Gratouille « se présentait-elle ; « j’suis gouine et j’gratte toutes les femmes « - qui oeuvrait dans la chine de vieilles croutes depuis des lustres ; c’était un petit dessin de Van Dongen, qui avait été publié en illustration dans L’Assiette au Beurre, dans les années 1900 et sobrement intitulé « La Mort ». Il s’agissait un lavis noir et sanguine, dont l’original n’avait jamais été répertorié dans aucun catalogue de l’artiste, et dont on pensait qu’il était perdu. Miche avait diagnostiqué : « Ma grande, si ton lavis est authentique, alors t’as quasiment 10 patates au four ! Faudrait l’faire expertiser… ». Le problème, c’est qu’Elo n’avait pas trop envie d’avoir à expliquer d’où venait le dessin, et avait peur de s’faire arnaquer par un expert véreux. C’est pour ça qu’elle envisageait de demander à Vlad, qui lui avait souvent parlé de son pote barbouilleux, s’il pouvait pas demander à Lekervelec un avis sur la question… Sûr qu’avec Loïc, rapport à l’arnaque, elle serait tranquille ! Et quand on a déjà les deux pieds dans la merde, y a pas d’raison de pas y mettre les mains aussi… (à suivre)
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