« Lavis Noir », c’est un feuilleton parisien. C’est l’histoire de Loïc et Josy, les amants du Pont d’la Butte. Y a de l’action, de la morale et du cul. Il y a surtout une formidable intrigue policière et un suspens haletant. Ce qui est bien le moins pour un feuilleton. Et c’est aussi une galerie de personnages - Miche la Gratouille, Toussaint l’Haïtien, Fabio le Calabrais…- qui vous feront vibrer tout au long de l’été. Aujourd’hui, les épisodes 11 et 12.
Sa combine à Loïc, avec les manouches du passage Dieu, ça avait un peu à voir avec de la barrette en import… Les manouches, sédentarisés dans l’quartier, avaient monté un réseau de transport de marchandises avec leurs cousins gitans de Marseille, lesquels se faisaient livrer, direct en provenance d’Istanbul, du chichon haut de gamme… C’était de l’Afghan premium, du 10 ans d’âge avant pressage, quasi pur, que c’en était un vrai bonheur à couper, avec de la cire, d’la colle ou d’l’huile de vidange… Et les manouches s’y connaissaient en huile de vidange, vu l’nombre de bagnoles qu’ils ferraillaient ! La multiplication des p’tits pains à chaque livraison ! Les gitans du Panier, prudents, traficotaient sur un marché d’niche, à l’écart des poids lourds de la blanche et du pavot, ce qui leur évitait pas mal d’embrouilles avec les bandes corses et turques. La livraison à Paris, chez les manouches, se faisait, la plupart du temps, dans des guitares qu’ils venaient faire réparer chez le luthier dl’a rue d’la Réunion. Le boss des manouches, à l’époque c’était Lulu Hortec, qui avait ses quartiers passage Dieu et sa ferraille à Montreuil…
Deux fois par mois, Loïc Lekervelec, que les manouches avaient surnommé Barbouille, en allusion à son activité artistique, venait prendre livraison d’une gentille plaque de 10, déjà bien travaillée par l’équipe à Lulu. Il en f’sait, grâce à un savant mélange avec du beurre clarifié, 50 barrettes qui lui permettaient, au détail, de faire triplette sur l’prix du gros. Loïc, le malfaisant, dealait à de petits junkies d’la rue Polonceau, qui eux-mêmes refourguaient la came recoupée, aux putes évanescentes d’la rue Lepic et aux travelos d’la Place Blanche.
Dans l’ensemble, entre ses images de genre et son p’tit commerce exotique, Lekervelec se faisait presque un smic et demi de l’époque… Pas d’quoi pavoiser, bien sûr, mais bien assez pour lui donner l’illusion qu’il était libre, ni Dieu ni maître, sans patron, libre pour se donner, tout entier, à son Art… Sauf que son Art, Loïc, si l’on excepte deux huiles sur toile vaguement constructivistes et franchement tartes, il ne l’exerçait guère qu’à travers des petits lavis paysagers ou des portraits au fusain, place du Tertre. Sans vouloir persifler, son art à Loïc, c’était quand même de l’artifesse…
Loïc était en train de terminer l’portrait à Josy… Enfin, le portrait… Disons, l’portrait en pied, et nue… Le premier d’une série de ce qui devait constituer son Œuvre ! Les Josy Nus, qu’il annonçait ! Lekervelec peignait à poil, lui aussi, et se poignotait gentiment, tout en étalant généreusement le carmin et l’ocre : il était dans sa période rouge… C’était la dernière séance de pose, et il allait apporter la touche finale, en mettant deux gouttes de la liqueur séminale, dont, arrivé au terme de sa manip’, il venait de garnir sa palette, sur les yeux peints à Josy, pour, disait-il, « leur donner une touche de vie », comme le grand Murdoire : Loïc Lekervelec connaissait ses classiques montmartrois ! Pendant tout ce temps, priée de ne pas bouger, Josy se languissait, et se liquéfiait aussi, un peu, bien échauffée des reins par la branlette artistique mais égoïste à laquelle Loïc venait de se livrer devant elle… Les exigences de l’art lui semblaient bien cruelles, et, pour tout dire, elle avait - pauvre agnelle - la frustration au bord du clitounet.
Lekervelec prit du recul, examina sa toile, un confortable châssis 40F, parût satisfait et se décapsula une mousse. Josy, le rouge au joues et aux fesses se rhabilla, regrettant de ne pas avoir amené certain accessoire que l’Infâme lui avait offert pour sa fête, et qui, à sa grande honte, lui avait apporté de la joie, ce dont elle s’était aussitôt confessée au Père Michaud de Notre Dame de Clignancourt… Le bon abbé en fut d’ailleurs tout secoué, tant la contrition de Josy était sincère mais terriblement précise dans la description de l’objet - pourtant un banal gode vibro - et de ses effets vulvaires … Le prêtre dût d’ailleurs, à son tour, aller à confesse pour laver son âme des souillures de ces aveux sataniques ; pour la souillure de sa soutane, un peu d’eau bénite suffit.
Loïc finit sa bière, rota à deux reprises et se rhabilla à son tour. Il fourra un patin amical à Josy, qui n’avait pourtant pas besoin de ça pour s’humidifier les intérieurs, et lui intima qu’elle devrait aller s’balader toute seule : il avait une livraison à assurer pas plus tard que tout d’suite. En fait de livraison, Lekervelec allait refiler à Vlad, le punk de la rue Richomme, cinq barrettes archi-coupées, dont l’client final était une chanteuse décavée, qui avait une maisonnette rue Cortot, avec vue imprenable sur la vigne de Montmartre. (à suivre…)
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