Suite et fin du débat entre nos deux experts camerounais en politique française, Jean-Paul et Théophile. Dégoûtés des socialistes, leur coeur balance entre Bové et Sarkozy.
Le rejet du PS est nettement exprimé (cf. Fantôme françafricains et élections présidentielles), l’attrait pour Nicolas Sarkozy est plus difficile à comprendre chez ces deux Camerounais dont la philosophie politique les rapprocherait davantage, à première vue, de la gauche altermondaliste que de la droite à képi… Théophile avoue qu’il hésite entre Bové et Sarkozy. « Ce sont les deux candidats qui m’intéressent, explique-t-il, José Bové pour ses qualités de cœur, ses revendications sociales et sa proximité avec les petites gens ; Nicolas Sarkozy… pour sa franchise. Je préfère quelqu’un qui ne m’aime pas, plutôt que quelqu’un qui m’assassinera dans le dos après m’avoir fait une déclaration d’amour ». Instruits par les précédents gaulliste, mitterrandien et chiraquien, les Camerounais ont appris à se méfier des « amis » de l’Afrique…
Certes la politique migratoire ultra-restrictive de l’ex-ministre de l’Intérieur ne les fait pas sauter de joie. Mais Jean-Paul et Théophile, qui croient dur comme fer à l’action politique et collective, y voient tout de même, « si on regarde au deuxième ou au troisième degré », des avantages. « L’émigration nous fait beaucoup de mal,analyse Jean-Paul, le vendeur de pop-corn, parce que c’est une démarche individuelle, une échappatoire individualiste. Je comprends les Camerounais qui fuient la misère, la corruption et les prédateurs au pouvoir pour chercher le bonheur ailleurs. Mais les autres, ceux qui restent, ils vont faire comment ? » Sarkozy inspirateur involontaire des futures révolutions africaines ? C’est une idée…
Si Jean-Paul et Théophile se lancent dans des démonstrations aussi acrobatiques (et désespérées), c’est aussi parce qu’ils sont séduits par « l’éloquence » du candidat UMP. Telle est la principale raison de l’attrait de Sarko auprès des Camerounais : il apparaît à leurs yeux comme l’exact opposé du président local. Imaginerait-on Paupaul serrer des mains anonymes dans un quartier populaire de Douala ou de Yaoundé au lendemain d’une émeute ? Ou embrasser les vedettes du petit écran devant une salle de spectacle surchauffée ? Vu d’un pays où la scène politique est aussi excitante qu’une fosse commune, speedy-Sarko ne peut que faire fantasmer. Il peut dire n’importe quoi – « racaille », « kärcher », « rupture » – il sera toujours regardé avec fascination, ou au moins intérêt. Mieux vaut l’excès de démagogie à l’excès de léthargie.
« Ségolène et Bayrou ressemblent un peu plus à nos hommes politiques à nous », note pour sa part Théophile. Et c’est parce qu’il regarde la politique française à l’aune des mornes réalités politiques locales qu’au finish son vote virtuel va plutôt à Sarko qu’à Bové. « L’expérience, c’est très important quand on est président, se justifie le taximan. Dans l’élection de France, je pense que Sarkozy est celui qui connaît le mieux les dossiers. » La remarque paraît un peu moins anodine quand on sait qu’au Cameroun à peu près n’importe qui – de l’anonyme proviseur à l’obscure prof’ de gym – peut devenir ministre de l’Économie du jour au lendemain, par le seul fait du Prince.
Et les programmes dans tout ça ? Théophile et Jean-Paul l’avouent : ils s’y intéressent peu « puisqu’une fois élus, ils font ce qu’ils veulent ». Faut-il donc signer un chèque en blanc à Sarkozy ? « Il faut lui laisser sa chance, et on verra dans cinq ans », répondent-ils en chœur. Et s’il s’avère pire que ses prédécesseurs – ceux que Jean-Paul appelle « les meurtriers de l’Afrique » ? « Dans ce cas, on fera comme les gens des banlieues, prévient Théophile. Ça nous a donné beaucoup d’idées vous savez… »